TAC! #DUO – Sérendipité – K A Ï R O S
Thème sérendipité
K A Ï R O S
Depuis les primitifs, l’artiste est maitre de sa création. Son geste, créateur, quasi divin, fait littéralement naitre l’œuvre pour que le monde puisse la contempler. Au fil du temps, l’artiste a su se détacher de son œuvre, le geste s’efface, le concept de création évolue et acquiert davantage d’humilité. Avec l’arrivée des surréalistes, le hasard s’introduit et devient un leitmotiv fascinant et revendiqué. L’œuvre s’accomplit d’elle même. Mais le hasard dans l’œuvre ne reste qu’un moyen, certains artistes d’ailleurs ne cherchent aucunement cet état, le hasard génère une surprise comme l’expliquera simplement Pablo Picasso : » Je ne cherche pas, je trouve ». Tandis que d’autres artistes, provoquent un moment sérendipien, se retirant de leur œuvre au moment opportun, la laissant se créer d’elle-même.
La notion du temps devient alors un facteur décisif. Le temps du vide, l’artiste se retire pour revenir vers l’œuvre transformée pendant cette latence. Ce moment devient un temps de recherche fertile pour l’œuvre mais extérieur au processus de création. L’artiste saisit ce que lui offre le hasard. La question du temps, de ce moment de vacance provoquant l’invention d’une œuvre, est parfois vu comme un instant de paresse, alors qu’il est une véritable source d’inspiration, comme une matrice invisible mettant in fine au monde une œuvre singulière. C’est tout le paradoxe de notre société, accélératrice de nos rythmes de travail, cultivant le rejet du vide et du temps perdu. Enfin, observons que dans la plupart des instants sérendipiens, deux entités se rencontrent. La création artistique s’effectue grâce à un partenaire extérieur, telles que la nature végétale, animale, la musique, la chimie ou une forme de technologie avancée.
Arthur Zerktouni vit et travaille à Nantes et est diplômé du Fresnoy et de l’ENSA de Bourges. Il questionne dans son travail l’immatérialité et façonne des univers parallèles grâce à ses installations filaires et ses performances. Le fil est un composant essentiel de son Œuvre puisqu’il symbolise une mémoire familiale, un héritage lié au textile présent dans sa famille depuis des générations. Si ses installations créent un univers à la fois enveloppant et distant, elles génèrent toutefois des connexions entre les hommes, une même sensibilité partagée.
» J’ai toujours trouvé le fonctionnement de mes installations par hasard, la sérendipité est pour moi essentielle. »
Pour Rémanences , l’artiste a composé une installation filaire utilisant à la fois la couleur, la lumière, le fil et un programme informatique. L’artiste provoque ainsi l’imprévu, généré par une entité externe sur une matérialité (le fil) en fuite, puisque la lumière fait apparaitre et disparaitre ces fils. L’artiste s’efface au profit d’une œuvre qui, tel un fantôme, décide d’effleurer par intermittence le monde réel, faisant d’elle son propre arbitre. Une esthétique qui échappe également au regardeur, créant en revanche une persistance rétinienne.
Hugo Livet
Diplômé de l’ESACM de Clermont-Ferrand, Hugo Livet a comme pour sujet d’action la nature. Celle-ci s’offre dans son travail plastique comme un moyen et une finalité qu’il exploite avec recul, l’observant et l’imitant. Il convoque les nouvelles technologies pour façonner ses œuvres, comme l’impression 3D ou le photomontage et fabrique ses œuvres-sculptures organiques, aux allures minimalistes, créant un leurre pour le regardeur tant la perfection visuelle frôle la concurrence avec la vraie nature.
Pour « Peinture pariétale« , pas de nouvelles technologies, et aucune intervention de l’artiste si ce n’est le produit chimique appliqué au préalable sur le mur d’exposition. Avec cet apprêt posé par l’artiste, un temps de latence s’opère par la suite, laissant le mur vivre en solitaire et se déliter magnifiquement. De ces craquellements, des vibrations s’extraient et des macro-mouvements imperceptibles à l’œil nu émergent, telle que l’éclosion d’une fleur. Des fragments détachés qui, en fin de vie, finissent par joncher le sol de l’espace d’exposition. Une observation de l’invisible, sans que l’artiste n’ait pu intervenir sur la finalité de l’œuvre, et un espace d’exposition qui s’offre également comme un réceptacle sérendipien.
Julie Escoffier
Diplômée des Beaux-arts de Lyon en 2013, Julie Escoffier contemple la matière qui se transforme à travers ses installations et sculptures, devenant un personnage à part entière de son œuvre. Un processus en évolution, dans lequel elle ne prend aucunement part. De ces modifications, la forme apparaît, et disparaît à sa guise, dans un temps de latence qui lui est propre. Davantage spectatrice de son travail, elle nous permet d’endosser ce rôle, et d’observer les formes instables qui se créent.
Dans Ellipsis, l’artiste opère une sorte de théâtre de la forme naissante, dans l’espace d’exposition, où » des sculptures composées et enduites avec des substances aussi variés que le vin, l’eau de rose, l’eau de Javel, ou le sel, performent, muent et se transforment pendant toute la durée de l’exposition. » Des réactions qui germent, sorte d’alchimie, opérant comme des sentiments et des émotions qui se dévoilent à travers les différents personnages-scultpures disposés dans l’espace. Un théâtre de formes naissantes qui se dévoilent, tour à tour, étirant le temps en parallèle de l’action chimique, pour aboutir à un récit questionnant la ruine, la dégradation et la transformation.
Actualité de l’artiste: découvrez le projet « Kairos #3: Esperando la lluvia » qu’elle mène au côté du programme de résidence Dedazo, au Mexique, ici.
NATURE
Clément Borderie
Printemps/été 2019, Senlis, toile de coton brut – Ø 250 cm
Né en 1960 à Senlis, l’artiste est diplômé des Manufactures Nationales des Gobelins –Mobilier National, Paris en 1983. Clément Borderie crée des installations qui s’apparentent à l’art de la sculpture et de la peinture. Dans la nature, il installe des structures métalliques, des matrices, de formes et de tailles variées, sur lesquelles il étire des toiles. Ainsi, la nature fait partie intégrante du processus de création puisqu’elle prend le relais de l’artiste. Le fait qu’elle s’érige alors en seconde instance créatrice questionne le geste de l’artiste qui conditionne à la fois les statuts d’artiste et d’œuvre d’art. Mais s’il s’agit de laisser la nature investir les œuvres et si cet investissement confine parfois à l’envahissement, c’est l’artiste qui pose les jalons de cette occupation spatiale. Il conduit en quelque sorte son cours.
Clément Borderie choisit également l’environnement au sein duquel sa matrice prend place en fonction de sa topographie mais aussi en fonction du temps : la saison et le déploiement de ce dernier : le temps d’exposition, il sélectionne un espace-temps. La nature a donc carte blanche mais l’artiste observe et intervient pour la canaliser. Le laisser faire apparent de la nature n’apparaît pas antinomique avec la définition du geste de l’artiste. La nature inspire l’artiste et insuffle la vie à ces œuvres quand l’artiste exploite ses propriétés inhérentes pour guider son cours, laissant apparaître une sérendipité naturelle opérant dans un espace temps définit par l’artiste.
Actualité de l’artiste: L’association La Fabrique de l’Esprit a co-produit avec la Galerie Jousse Entreprise, l’ouvrage « Les bosons de l’art », de Ghislaine Rios où les oeuvres et le processus artistique de l’artiste sont présentés. Clément Borderie expose actuellement à la Galerie Jousse Entreprise – Le laisser-faire du 14 juin au 18 juillet 2020 les toiles créées dans le Parc Écologique de Senlis en 2019.
Muriel Taragano
Muriel Taragano définit un temps propre à chacune de ses productions pendant lequel les couches s’accumulent, l’épaisseur apparaît, les gestes se répètent… Il ne s’agit pas en effet pour l’artiste de créer une narration linéaire d’un début vers une fin. Il s’agit plutôt de redire les choses, de les réactiver jusqu’à faire sentir le temps accumulé en temps que tel. C’est ce qui se produit dans la série photographique En attendant. Sur deux fils, des oiseaux se posent et s’en vont : « Les images successives des oiseaux sur le fil n’ont donc pas contribué à installer la sensation d’un progrès du temps mais plutôt l’idée d’une continuelle renégociation de ses mouvements dans un champ opératoire déterminé. » (source : site de l’artiste). C’est ainsi que l’artiste utilise l’attente comme processus créatif. Avec humilité, elle produit des images qui échappent à sa simple volonté au profit d’une nature créatrice de situations en constante mutation qui viennent se poser sous son regard.
MOTIF
Tania Girard Savoie
Droite: Sans titre, mediums mixtes sur papier, 2016
Tania Girard Savoie expérimente la couleur par la recouvrement. Elle crée des motifs par la superposition d’encres et de peintures pour créer des compositions abstraites. Souvent organiques, ses formes colorées agissent comme des cellules qui se complètent et s’annulent au fur et à mesure de son travail d’accumulation. Cette artiste utilise d’ailleurs la sérigraphie qui permet techniquement d’appliquer des motifs encrés les uns sur les autres. L’ensemble de son travail semble alors être une suite de trouvailles, de couleurs qui se complètent ou s’annulent. Sans lâcher prise, il semble que l’artiste compose en collaboration avec les couleurs qui ont leurs propres exigences. C’est alors une négociation et un accord long avec elles, qui semble alors à l’œuvre dans chacun de ses travaux.
Artiste coup de cœur à découvrir ici, sur son site.
Sandrine Elberg
Les photographies de Sandrine Elberg nous projettent vers un monde infiniment inconnu ou flirtant avec nos utopies les plus vaines. Diplômée d’un DNSAP à l’École des Beaux-arts de Paris, elle travaille avec l’argentique qui lui offre des possibilités visuelles improbables et accidentelles. C’est ainsi qu’elle crée un univers aux confins de rêves imaginaires, cosmiques et organiques, oscillant constamment entre la fiction et le réalité. Revendiquant la notion de sérendipité dans son travail, celui-ci s’apparente bien souvent à celui d’un scientifique expérimental, testant et manipulant les particules argentiques qu’elle cultive. Pour son projet des INSOMNIES, l’artiste propose plusieurs clichés obtenus lors du confinement national dû à la propagation du Coronavirus dans le monde.
Insomniaque, elle capture dans sa cuisine des éléments tels que des plantes et des champignons, combinés avec du papier et de l’aluminium pour y créer des univers cosmiques. La finalité de ces images qui deviennent des découvertes fortuites, des photographies qui créent la surprise lorsqu’elles sortent de la chambre noire, la lumière et les agents chimiques ont révélé une esthétique particulière, échappant à l’artiste, comme la naissance d’un nouveau monde.
Artiste coup de cœur à découvrir ici, sur son site.
CHAMP SOCIAL
Brecht Evens
Nous terminons notre exploration visuelle de la sérendipité par deux doubles pages d’une bande dessinée de Brecht Evens, Les Rigoles, sorti en 2018 aux éditions Actes Sud. Ce jeune auteur belge explore en effet la rencontre fortuite, la trouvaille dans son travail de couleur mais aussi dans sa narration propre. Deux paysages se dessinent ici : une terrasse d’un bar et les discussions de cette terrasse. En effet, après avoir présenté le cadre, la seconde double page est une suite de conversations qui définissent la narration comme une déambulation à travers les tables. Ainsi, nous passons d’une histoire personnelle à une autre de façon fortuite. Le hasard apparaît à la fois comme un motif et un mode de narration pour remplir ces pages. La sérendipité, la rencontre inattendue avec une couleur ou une forme comme nous l’avons présenté durant cette exposition semble ici s’appliquer au lien social. K A Ï R O S, ce moment opportun à saisir, apparaît alors comme une notion faisant écho à différentes préoccupations humaines.
Un artiste coup de cœur à découvrir ici, sur son site.