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TAC! #6 – ACTION!

Du  4 mai au 7 mai 2020
Action!
By Cristina Barroqueiro

 

L’exposition réunit huit jeunes artistes français autour d’un imaginaire commun ayant pour effet de s’extraire du monde réel par la théâtralité. Intitulée « ACTION ! » elle propose un récit en trois actes ainsi qu’un dénouement, à la manière d’une tragédie grecque. Paysage lunaire de Justine Bougerol, désordre conceptuel de Rémi Groussin ou projection sur une autre planète de Marie-Anita Gaube, c’est bien le regardeur qui décide de la teneur de son propre imaginaire. Drame ou comédie, il est invité à expérimenter et ressentir tout en se détachant du réel.

 

Note d’intention

Dans une société où le contrôle est de mise, les artistes marquent un territoire sensoriel, celui du lâcher-prise et de l’intériorité. Plusieurs médiums sont présentés pour cette exposition : vidéo, peinture et installation. Mais c’est cette dernière qui retient particulièrement notre attention, car elle permet à la narration d’exister. Un dispositif conçu comme un mirage, frappant l’imagination sans la manipuler. Une sorte de theatrum mundi où se jouent les aspirations et les drames mais aussi la joie et l’affection. Pénétrer dans ce théâtre c’est s’extraire de sa condition de simple regardeur. Inspiration majeure de ces lieux, le travail de l’artiste française Laure Prouvost qui règne dans l’art d’installer une fiction absurde et poétique, proposant au public un dédale d’objets dépourvus de liens apparents, mais d’une délicatesse assurée.

Ce récit se déroule à l’intérieur d’une trame crépusculaire et lunaire. Ce fameux entre-deux, étrange et fascinant, permet une meilleure imprégnation dans le monde du sensible. À noter, les titres ont une importance capitale, Pluton, Love Canal ou bien Cité Soleil, ils renforcent l’ailleurs et l’en-dehors, rappelant la cinématographie de Terrence Malick ou Lars Von Trier. La poésie s’invite également, elle est indispensable à l’ensemble qu’elle renforce, proche du concept d’art total.

ACTION ! est le fruit d’une réflexion sur la continuité et la transformation du sensationnel vers le champ des arts visuels, une déconstruction qui permet de regarder, ressentir et expérimenter plutôt que de simplement voir.

 

 

ACTE I: POSER LE DÉCOR

  • Gaelle Choisne, Cité soleil, 2015 Plâtre, métal, verre imprimé, dimensions variables, vue d’exposition personnelle, La Halle des Bouchers, Vienne

L’histoire raconte qu’elle commence d’emblée par une illusion. Celle d’une mise en scène qui organise un espace dans lequel le regardeur est appelé à entrer et à participer. Une architecture à l’équilibre précaire tout comme l’image qui y est reproduite, faite de bric et de broc insufflant un certain abandon. Cette installation rappelle la définition expliquée par Thierry de Duve en 1974  » le spectateur est incorporé à une situation dans laquelle il fait pièce au même titre que l’objet. Cette mise en situation a d’ailleurs reçu un nom nouveau dans le jargon artistique : installation. Une installation n’est pas un environnement, qui, lui, reste dans la tradition de l’art total; elle n’est pas d’avantage un objet disposé de sorte à être mis en valeur par son contexte. Elle est l’établissement d’un ensemble singulier de relations spatiales entre l’objet et l’espace architectural, qui force le spectateur à se voir comme faisant partie de la situation créée. »

Gaëlle Choisne créée des récits autour des thèmes du colonialisme, de l’appréhension de l’espace-temps, d’histoires humaines et de mythes; et son univers est possédé par l’image photographique et le cinéma. Cité Soleil est cette installation qui déforme la réalité (comme une promesse, car le titre fait référence au nom d’un bidonville d’Haïti), étrange et tumultueuse, que le regardeur est invité à transformer par sa propre expérience, comme le miroir d’une mémoire passée.

 

 

 

  • Rémi Groussin, Dr Rossiter, 2015, Installation: bois, fer, peinture et système lumineux (basse tension), dimension variable

 

Le travail de Rémi Groussin est fondé sur l’insondable et l’absurde. Dans un ensemble d’installations cacophoniques et lumineuses, il semble vouloir dérouter le spectateur tout en le plongeant dans un univers fait de références cinématographiques, et donc, a fortiori, permettre de l’extraire du réel.

Facétieux, le face-à-face avec ses œuvres surprend joyeusement plus qu’il ne dérange, car il se plait à déconstruire le dispositif spectaculaire pour une version davantage théâtrale et ainsi plus proche de son public. Les tables du lanceur de couteaux Dr Rossiter jonchent le sol dans un état d’abandon. Par ailleurs, leur désordre n’indique aucune temporalité, viennent-elles d’être utilisées ? ou bien espèrent-elles de l’être ? Elles se jouent de leurs lignes graphiques, séduisantes, rappelant la peinture abstraite géométrique. Elles deviennent alors des objets à part entière, voire personnifiées, orphelines de leur espace d’origine, le cirque, elles sont dans l’attente d’être manipulées virtuellement par le regardeur qui en fera son récit personnel, entre fiction et réalité.

 

 

ACTE II: L’ÉCHAPÉE

 

  • Justine Bougerol, La cheminée, 2015, Cheminée condamnée, eau et vidéo.

« Justine Bougerol, artiste plasticienne, raconte à travers des installations pensées de manière in situ des histoires d’espaces et de souvenirs autour du leitmotiv de la maison natale, dans lesquels le vécu se confronte à l’inconscient, le rêve se mêle à la réalité, et l’invisible au visible. La mémoire y est une thématique récurrente que l’artiste traite à travers l’élaboration de paysages intérieurs et oniriques. La nostalgie y cohabite avec l’absurdité et l’étrangeté, propres aux lieux de nos souvenirs transformés par la subjectivité de chacun. »


La cheminée est une expérience sensorielle d’un paysage lunaire qui se découvre par le biais d’un trou créé dans une cheminée condamnée. Courbé, le regardeur observe et se retrouve propulsé dans un univers d’illusion, un intérieur obscur inondé d’une eau stagnante et noire mais faisant surgir une forêt de conte de fées, ancrée dans notre mémoire commune, grâce à la lueur de la Lune. Il s’immerge totalement grâce notamment à un système de goutte d’eau tombant toutes les 5 secondes et qui vient rompre l’image nette du paysage, le faisant sans cesse osciller entre la réalité et le mirage d’une forêt … troublante.
Vidéo disponible ici.

  • Ludivine Zambon et Charlotte Audoynaud, Lila, vidéoprojection, image en boucle

  Ludivine Zambon et Charlotte Audoynaud sont deux artistes françaises vidéastes créant des univers narratifs doublés d’une écriture poétique et dramatique.

En continuité avec le travail de Justine Bougerol, Lila est une vidéo-poésie en plan fixe sur une maison au bord du lac d’Aiguebelette en France, filmée sous un épais brouillard où les bruits de la nature se font entendre de manière à la fois inquiétante et apaisante. Un son életro- acoustique participe au caractère dramatique et cinématographique de cette vidéo, le regardeur s’apprête à tout moment à y découvrir un dénouement. Projeté et aborbé, cet espace créé une échappatoire vers un ailleurs familier, vers une mémoire interne. Lila devient alors cette entité attendue, une promesse en suspens, décrite dans le poème qui accompagne la vidéo.

 » De là, nous n’étions qu’à un mouvement. Près.
Et la tempête de sable de tout seul arrêt.
Il ne pouvait y avoir ni fureur ni sauvagerie.
Un ça me va blanchit.
Où elle y voyait une pulsion lunaire.
Il n’y avait qu’elle qui savait où trouver le plas bancal, de ce qui pouvait être, Lila.
De ce qu’elle connaissait de la nuit d’été.
À aucun moment incertain où le haut surplombe le nord rocheux.
C’était là qu’elle savait qu’elle y trouverait le vertife fier de la plus grande apnée.
De quelques pas.
Même plus sûre de ce qu’elle disait d’elle, la nuit.
Pour une tentative toujours plus froide et vide.
De là, il ne restait que le manque flagrant des corps Lila.
Comme exactement un nombre d’année.
Trognons muets des restes encore à bout. »


Détail vidéo: Lila, vidéoprojection, image en boucle, 1920Px1080, P06’,00,00

Couleur, son, enregistrement caméra et création sonore Pierre Joseff Casques bluetooth, création sonore binaurale en collaboration avec Pierre Joseff.

 

 

 

ACTE III: CET UNIVERS

 

  • Janna Zhiri, Hommage aux exagérés, 2018 10 x 1,60 m

Pénétrer dans les installations de Janna Zhiri offre la possibilité de s’immerger dans un univers fait d’imprévus, d’excentricités et d’aventures. Elle utilise le pastel pour créer ses dessins qui alimentent ses ensembles aux allures de macrocosmes tragi-comiques. En passant du rire aux larmes et vice-versa, ses étendards burlesques et grotesques, et ses objets disséminés aux alentours, font tressaillir les plus fragiles et rigides d’entre nous. Cultivant le hors-champ, l’artiste collectionne des histoires oscillant entre la grossièreté et la beauté.

Hommage aux exagérés est une épopée théâtrale et vertigineuse qui nous embarque dans un fourmillement de personnages, objets et références historiques, tant sur le dessin que par les objets éparpillés. Le regardeur devra faire le tri et les liens. Elle est de ces œuvres qui ne laissent pas indifférents tant le récit est riche, coloré, fait de joie, d’humour et de fantaisie ! Une aventure qui nous extrait facilement du réel, tout en poésie, avec ces petits putti qui dans cet univers fait de mythes et de chimères observent les personnages riant dans leur folle course aquatique.

 

 

  • Marie-Anita Gaube, Pluton, 2016, huile sur bois, 153×185,5 cm

« Ses peintures ressemblent à des rêves où plusieurs univers se frôlent et parfois
se mélangent. Dans ses toiles, la frontière entre le réel et l’imaginaire est poreuse pour faire basculer l’image dans un monde onirique. Elle représente des « théâtres » étranges où certains indices questionnent la scène qui se déroule sous nos yeux. Ses toiles sont construites comme un collage où différents espaces se côtoient. Elles sont réalisées sur de grands formats, pour que le spectateur ait l’impression de rentrer à l’intérieur, pour s’imprégner de l’histoire et en prendre partie. »

Pluton est cette planète où le temps n’existe pas. Ou bien rythmé par un métronome qui distille son tempo musical à l’infini. Les astres lunaires se mêlent au décor nocturne et aux couleurs joyeuses et apaisantes tandis que l’odeur de la pastèque se répand, attendant que les trois personnages vus en contrebas viennent la déguster. La végétation exotique et les eaux scintillantes nous propulsent davantage dans ce rêve d’un monde idéal et paradisiaque. Un fantasme inassouvi ou en suspens.

 

 

LE DÉNOUEMENT

 

  • Emmanuel Le Cerf, La peur d’un monde entier, 2015 Bois, eau, PVC, 500 x 400 x 50 cm

Dans son travail initial, Emmanuel Le Cerf interroge le pouvoir des images via leur transfert sur différents supports. Selon leurs compositions, elles se dévoilent au regard par le truchement d’un axe disparaissant ou apparaissant. Ces mouvements dans l’image induisent un va-et-vient incessant dans la perception et la réflexion interne du regardeur. Sans participer directement à l’œuvre il y a malgré tout une réflexion portant sur la relation du public avec les œuvres qu’avec les images que génère notre société, dans notre rapport au monde, au temps et à la mort.

Dans La peur d’un monde entier, dont le titre est inséparable de l’œuvre, cette matrice noire plongée en partie dans l’eau est une forme d’allégorie, celle qui à la fin d’une histoire, demande aux protagonistes de faire un choix. Emmanuel Le Cerf réalise cette pièce en duo avec Gabrielle Bianco à Gand, s’apparentant à un « tremplin minéral qui, d’après son orientation vers les fenêtres, induisait le mouvement suggéré d’une fuite mentale ». Une situation complexe qui s’appuie sur une lecture d’antagonismes : visible et invisible, intérieur vs extérieur. Enfin le contraste saisissant entre la clarté et l’obscurité évoque la traversée de deux territoires, il faudra choisir son camp.

 

 

  • Elsa Brès, LOVE CANAL, 2017, film, 18 minutes

« Il y a 300 millions d’années, le Nord de la France était un marécage.
Il y a 140 ans, un canal est creusé et jamais mis en eau.
Un jour, des vagabonds décident de descendre un fleuve invisible et ramassent en chemin les débris d’un monde pour en commencer un autre. »

Elsa Brès est architecte et vidéaste, elle s’intéresse aux histoires de territoires, de déplacements et de liens forgés avec leur population. De ses recherches découlent des histoires basées sur l’expérience des lieux et des paysages, passés ou contemporains. Love Canal est choisi pour marquer la fin de l’exposition ACTION! car il se situe entre le documentaire (Love Canal est le nom donné à un scandale environnemental des USA dans les années 70) et la fiction, avec une ouverture confiante dans la création d’un nouveau monde, un monde sans cesse questionné et éprouvé. Un groupe de jeunes personnes, dont une voix se fait entendre, à la fois poétique et grave, commence ce cheminement intense vers la transformation sur ce territoire déserté. L’ambiance post-apocalyptique de cette vidéo où les grandes étendues dépeuplées prennent place, nous propulse dans un éternel recommencement, où tout est à créer, dans le respect des identités humaines et paysagères. Une fiction permettant de transcender le réel sur notre rapport au monde.

Extrait de la vidéo ici.
Teaser ici.