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SALON DE MONTROUGE – INTERVIEW MATHILDE SUPE

Découvrez notre entretien avec Mathilde Supe, artiste soutenue par Françoise dans le cadre du Salon de Montrouge 2019.

Propos recueillis le 30 avril 2019 par Mathilde Blouet, association Françoise pour l’œuvre contemporaine

 

Bonjour Mathilde. Est-ce que tu peux te présenter, et présenter ta formation et ton travail ?

Je suis principalement vidéaste, même si j’ai aussi une pratique d’écriture, mais qui est plus rarement éditée, rarement visible. Je suis arrivée à l’art par un détour, par d’autres pratiques comme l’histoire de l’art, la sociologie ; une approche plus théorique, tout en travaillant comme technicienne dans le cinéma. J’ai fais les Beaux-Arts de Cergy, parce que c’est une école qui alliait un peu tout ce qui m’intéressait, parce que j’avais du mal à me décider entre les sciences théoriques, les sciences techniques, la pratique artistique,… Et je suis allée vers la vidéo parce que je voulais parler de société, et je me suis rendue compte que le cinéma était une nouvelle manière de traduire ce que les gens pensent, à quoi ils rêvent, ce qui nous relie les uns les autres. J’ai un parcours très patchwork avant ça, quand j’étais enfant j’ai pas arrêté de déménager et de changer d’écoles, et je suis passée par des endroits très bourgeois, d’autres très populaires. Et je pense que ça m’a marqué de passer pour une “prolo” chez les riches, pour une “bourge” en banlieue, d’être toujours en décalage avec le contexte dans lequel je vivais. Et ça m’a donné aussi très tôt un sens des inégalités, surtout concernant la connaissance, le savoir, l’éducation,… J’étais animée par tout ça et il m’a semblé que le cinéma était l’outil qui réunit encore aujourd’hui une majorité de gens, quels que ce soit les horizons et les parcours.

Après mon diplôme aux Beaux-Arts, j’ai eu une résidence à Marseille, pendant laquelle j’ai commencé un gros projet de film qui allait durer deux ans, qui s’appelle Cruel Park, qui est une espèce de blockbuster, dans lequel j’ai un peu tout mis. Et ce film est devenu un peu comme une boîte à outils, dans laquelle j’ai mis plein de scènes, plein de thèmes qui m’intéressent, et depuis que je suis rentrée à Paris, j’ai l’impression que je reviens piocher dedans.

 

J’ai vu que tu avais travaillé avec beaucoup de cinéastes, chorégraphes, etc. Est-ce que tu peux me parler de ce qu’ils t’ont apporté ?

Il y a eu 4 personnes surtout. Je gagne ma vie en ayant plusieurs casquettes, et en travaillant notamment dans le cinéma, la télé, la pub,… des moments que j’utilise d’une part pour gagner de l’argent, et pour explorer le terrain qui m’intéresse, et maîtriser ses outils.

Quand j’étais aux Beaux-Arts, j’ai été voir une monteuse de cinéma à la FEMIS, et je lui ai demandée de me prendre comme assistance. Elle m’a offert l’opportunité géniale de juste observer ce qu’elle faisait deux fois par semaine. J’ai pu voir le montage d’un film, et ça m’a fait prendre conscience de plein de choses sur la puissance des images et du montage, et sur la place de cette personne-là ; le monteur.

Après, je suis allée vers Keren Cytter, qui est une artiste vidéaste israélienne dont j’adore le travail et qui m’a montré une voie vers plein de choses que je cherchais, avec beaucoup d’humour, et du coup je me suis engagée volontairement comme assistante pour elle. On est restées très amies. Cette année, elle a exposé mon film Cruel Park pour la Nuit Blanche, au MAJH, Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme, pour un festival. Ça a été une expérience assez forte parce que d’une part ça m’a permis de voir les coulisses de la fabrication d’un objet artistique, et d’autre part de mesurer l’écart entre ce qu’on imagine, ce qu’on fantasme, et la réalité de ce qui se produit quand on doit juste faire une pièce avec pas beaucoup d’argent ou de temps. J’ai appris beaucoup avec elle, parce que j’étais son assistante réalisatrice et je faisais tout : les décors, les castings, les plans de travail,… Alors que j’étais toute seule, j’étais à New York pour la première fois de ma vie, et ça m’a aussi encouragé à faire des trucs assez ambitieux, puisque je me suis rendue compte que je pouvais le faire.

Ensuite, j’ai rencontré Eric Baudelaire, qui est quelqu’un de beaucoup plus sérieux, dans une autre dimension, très politique, très intellectuel, et pour qui j’ai voulu travailler alors que je ne savais pas faire grand chose de ce dont il avait besoin. Mais c’est quelqu’un de pédagogue, de super humain, et j’ai eu une expérience hyper marquante. Une fois, il m’a demandé de trouver une vidéo de l’État islamique après sa création en 2014, au moment où on a entendu parler du français qui avait rejoint l’État islamique. Maintenant, elle est complètement disponible sur Youtube, mais à cette époque, on a du faire des détours sur internet très compliqués pour la trouver. Il était sur une piste de documentaire que finalement il a pas suivie, mais moi j’ai trouvé cette vidéo, je l’ai visionnée, je l’ai analysée, et ça a été une prise de conscience politique hyper forte. Je me suis rendue compte que j’avais fais cinq ans d’études en art vidéo, en sociologie, que j’étais convaincue que je savais des choses. Mais de voir ça, ça m’a vraiment marqué parce que c’est beaucoup plus compliqué que ce que l’on pense. Et j’ai mis beaucoup de temps à intégrer la prise de conscience politique et l’envie d’être engagée dans un travail qui a du sens. Et pour le Salon de Montrouge, j’ai l’impression que c’est la première fois que je mets les pieds dans une œuvre vraiment engagée et explicite, et j’en suis hyper contente.

J’ai aussi travaillé avec un chorégraphe qui est très proche du cinéma, puisqu’il a fait du cinéma d’animation, et on a beaucoup travaillé ensemble. Il a été chorégraphe sur un de mes films et j’ai été assistante sur un de ses projets.

Ces gens sont un peu comme des anges gardiens, ils m’ont appris à me faire une famille, j’ai reproduis ça avec les acteurs et les techniciens avec qui je travaille, pour que ce soit vraiment une ambiance familiale et d’entraide.

 

Et tu es rentrée à l’EHESS, Écoles des Hautes Etudes en Sciences Sociales c’est bien ça ? C’est pour continuer dans cet aspect plus engagé de ton travail ?

Oui exactement, au départ j’avais deux motivations. Premièrement, le fait que l’année dernière je n’ai pas pu travailler pour moi, et donc je me suis dit qu’il fallait que je reprenne des études pour me restimuler. Et j’aimerais arrêter de travailler comme assistante, et avoir un métier plus stable et qui fait plus de sens. Donc j’ai voulu faire des études théoriques pour pouvoir enseigner. Ça me donne la légitimité de dire que je suis spécialiste de l’image, je maîtrise bien mon sujet. Et ça m’a nourrit sur plein d’autres choses, et tout cet aspect politique, parce qu’à l’école je suis avec des journalistes, des réfugiés politiques, des économistes, des gens qui ont des propos très ancrés dans la société, bien plus que dans le monde de l’art. Ça m’a permis de mettre les pieds dans des questions de féminisme, de formatage des esprits, de manipulations, de propagande…

 

Tu as un intérêt pour montrer ce qu’il y a derrière la caméra. Ça te vient de tes expériences aux États-Unis notamment, et des personnes que tu as rencontrées ?

Oui, je pense que c’est quelque chose vers lequel je vais depuis longtemps.

J’ai besoin de préciser une chose hyper importante, c’est que mon but n’est pas de donner une leçon magistrale sur comment est faite une image ! Par exemple, j’emploie le ton du texte scientifique, et j’aimerais qu’on se permette de remettre ça en question, parce que parfois le texte est très dur à lire, il va vite, il emploie des mots savants, et si les gens, les jeunes notamment, le remettent en question, tant mieux ! J’ai pas du tout envie de dire « ouvrez les yeux », « c’est comme ça que ça se passe ». Au contraire, je voulais que ce soit un peu drôle, un peu grinçant, un peu ironique, et je pense que des gens l’ont vu. Même si, si on reste sur du premier degré, on peut se dire « ah oui tiens c’est vrai que les hommes se comportent comme des hommes, et ne savent pas faire autrement, et les femmes aussi » et « ah oui tiens c’est vrai qu’un ralenti c’est très séduisant et grâce à ça on peut me faire passer des messages », et tant mieux. Mais pour moi ça s’arrête pas là, il y a aussi une dimension ironique dans le texte lui-même, et ça il fallait vraiment que je le dise !

Sinon, pour l’envers de la caméra, je cherche à la fois à parler des stéréotypes parce que j’ai des expériences personnelles qui m’ont montrées qu’on n’était pas armé contre les images, mais c’est aussi une sensibilité personnelle que j’ai, de trouver un espace perceptif, un peu entre deux contextes, entre aller voir un film hollywoodien ou une super série sur Netflix et passer un bon moment, être pris par les sens, être pris dans une sorte d’exutoire et en même temps être dans un recul plus analytique, plus cérébral. Et j’essaie de trouver l’endroit où l’on peut se tenir à la frontière entre ces deux perceptions là. Un jour j’ai lu une phrase, je n’ai pas retrouvé qui avait dit ça : « Moi au cinéma ce qui me fait pleurer c’est pas l’histoire, c’est les mouvements de caméra ». Et je me suis dis, elle est super cette phrase ! En même temps, un mouvement de caméra dans le vide ne te fait pas pleurer, il faut qu’il y ait une histoire qui soit portée par ce mouvement de caméra. Mais il y a une mécanique technique sensible.

 

Des artistes qui t’inspirent ? Quelle genre d’expos tu vas voir ? Tu es plus cinéma ?

Ça dépend des années. Cette année je suis très “bibliothèques”. Je lis de la neuroscience, de la sociologie, des sentiments, des émotions, des médias. L’année dernière, j’allais énormément au cinéma. L’année d’avant, au théâtre, à Nanterre-Amandiers, pour voir beaucoup de danse, et par exemple le travail de Ulla Von Brandenburg. Elle mélange sculpture, installation, éditions, danse, vidéo ; c‘est très beau. Et par chance, Eric Baudelaire et Keren Cytter, les deux personnes avec qui j’ai travaillées, j’adore leur travail. Je pense même qu’il faut que j’arrête de faire « du Keren Cytter » parce que je suis très proche d’elle.

Et j’aime beaucoup la chorégraphe Gisèle Vienne. Elle a fait une pièce qui s’appelle Crowd, qui est une rave party au ralenti. Grâce à ce ralenti, elle peut mettre en scène toutes les émotions, les interactions des jeunes qui viennent y participer, et toutes les micro-violences, les espoirs, tout ce qui se jouent dans ces moments de rituels festifs, c’est hyper beau.

Après, d’un côté j’aime le cinéma grand public, Christopher Nolan, Interstellar tout ça, et de l’autre côté des livres comme ceux de Marc Auger, un sociologue anthropologue qui m’a aidée à repenser la notion du temps, et à comprendre que certaines perceptions qu’on a dans son intimité au moment de l’adolescence, ou l’expérience du deuil, des choses qui peuvent arriver comme ça, des brisures, on a des façons de souffrir et de se reconstruire qui dépendent de l’époque dans laquelle on vit, qui est une époque où tout va vite, où il n’y a plus vraiment de mémoire collective.

Ulla Von Branderburg, It Has A Gloden Sun and An Eldrely Grey Moon, 2016. Super 16 mm on HD video, colour, sound 22 min 25 sec

 

Tu peux présenter ton œuvre réalisée pour le Salon ?

You can’t run from love est un diptyque vidéo, avec une scène cinématographique d’un côté, et son commentaire textuel de l’autre. La scène présente un premier rendez-vous amoureux dans un bar, et sa conclusion par un premier baiser sur le dancefloor. C’est une scène déjà vue, et revue, traitée d’une façon cinématographique assez classique. Et le texte, lui, commence par accompagner la narration en révélant les pensées des personnages. Et une petite critique sexiste commence à se dessiner, parce que toutes les décisions qu’ils prennent sont par peur de ce que l’autre va penser ; “est-ce qu’ils vont plaire à l’autre ?”. Ça les amène à adopter des comportements très typiques. La fille est apeurée, timide, passive, comme un petit animal qu’il faudrait traquer. Le garçon est beaucoup plus entreprenant. C’est lui qui mène la conversation, qui fait des blagues, qui essaye de la rassurer, etc. Et ensuite le texte se complexifie, en commençant à présenter des cartons théoriques en majuscules, qui parlent de comment cette scène a été construite, et à partir du moment où la fiction est cassée, on digresse dans des réflexions plus sociologiques, psychologiques, neurologiques,… A la fois des stéréotypes d’image, de cette scène déjà vue, et de genres, entre hommes et femmes. Et il y a un croisement qui s’opère avec la question de la séduction. La séduction que l’image opère sur nous, et la séduction dans le sens “comment on met à l’œuvre des jeux de séduction entre hommes et femmes ?”.

 

On sent qu’il y a une présence importante de la sociologie. Tu cites à plusieurs reprises des écrivains. Est-ce que c’est important pour toi de mettre des références d’auteurs qui t’ont plu ? Ou au contraire est-ce que c’est ironique, puisqu’il s’agit de phrases très théoriques/scientifiques ?

C’est un peu tout ça. Comme j’ai repris mes études en recherches, et que par ailleurs je travaille sur des tournages, dans des écoles, et que je faisais cette pièce pour Montrouge, j’ai dû sécher beaucoup de cours. Mais j’ai quand même l’obligation de rendre un mémoire, et cette production ne peut pas faire office de mémoire, c’est pas un travail scientifique. Mais c’est le condensé de tout ce que j’ai étudié cette année. Et puis le choix stratégique de citer les sources, c’était d’une part pour jouer le jeu de l’analyste, parce que pour transmettre une pensée, il faut qu’on ait tous les outils en main, et puis aussi dans l’espoir que ça donne envie d’aller voir ces écrits. Et en même temps, c’est pas du tout habituel, et le travail du cinéma c’est d’effacer tout le backstage, et donc plutôt que de faire un texte que je prétendrais avoir inventé, en mettant les sources en avant comme ça, et en tombant dans un ton un peu didactique, j’espérais que ça amène à un côté imitation du texte scientifique. Parce que par exemple, avec le monteur vidéo avec qui j’ai travaillé, d’habitude on fait des choses beaucoup plus expérimentales dans le montage, beaucoup plus étranges. Alors que là, on voulait vraiment faire un objet standard. Pareil pour le texte, il fallait jouer ce jeu-là. Je me rends compte depuis le vernissage que les gens prennent le texte plus au premier degré que ce que j’aurais voulu. Mais mon intention c’était aussi qu’on se dise « ah les textes universitaires, quel charabia », même si le contenu est juste.

 

Il y a un focus sur le sexisme aussi, est-ce que c’est quelque chose que tu as vécu personnellement dans le cinéma ? Est-ce que tu souhaites poursuivre sur cette thématique après ?

C’est une thématique qui était déjà très présente dans mon travail : la représentation de la femme à travers la pub, les selfies, les regards caméra,… Et je ne savais pas que cette chose que je cherchais déjà, avec des femmes qui regardent la caméra droit dans les yeux, qui sont joueuses, provocatrices, mutines, qu’on retrouve vraiment dans beaucoup de mes films, ça s’appelait le « male gaze ». J’ai découvert ça cette année grâce à l’école, et j’ai compris que y’avait des gens qui avaient déjà écrit sur ce que moi j’avais vu dans l’image. J’ai compris que les codes du cinéma et le formatage des esprits c’était une chose, et qu’à l’intérieur de ça, la question de la représentation des femmes, ça me tenait particulièrement à cœur.

Et concernant le sexisme, je l’ai vécu, mais j’ai pas l’impression que j’en ai été victime, parce que je suis pas d’un milieu aisé, mais quand même privilégié, parce que dans ma famille le féminisme, c’est même pas une question. Je sais que je suis égale à un homme, et je ne me laisse pas faire. Mais je suis dans un milieu où je suis essentiellement avec des hommes, et je dois souvent faire des preuves techniques de mon savoir-faire. Mon père était caméraman, et j’ai toujours su, avant même de me destiner à être réalisatrice, qu’un bon réalisateur, c’est quelqu’un qui connaît les corps de métier auxquels il s’adresse. Mais je me rends bien compte que c’est très rare de la part des filles, qui ont plus le réflexe quand on leur montre un logiciel de retouche, de montage son, de codage numérique ou informatique, d’embrayer un mode dans le cerveau, qu’est « la menace du stéréotype ». Des études ont été menées : tu présentes un exercice de mathématiques, au premier groupe comme un exercice créatif, au deuxième groupe comme un exercice de mathématiques qui va demander des précisions dans le calcul, le premier groupe de femmes ont de très bons résultats, alors que le deuxième échoue. Parce que tu te conditionnes à te dire que t’es nulle en technique, et que c’est pas pour toi. Ça m’a donné envie de lutter contre ça. Je passe beaucoup de temps avec mes copines à leur montrer comment ça marche et à leur expliquer qu’elles ont pas besoin d’un mec pour apprendre un truc technique. Et je pense que passer beaucoup de temps avec mes équipes, leur expliquer le projet, avoir une complicité intellectuelle, c’est déjà une nouvelle manière de travailler, qui va casser complètement ça.

 

Est-ce que tu trouves que cette vidéo est en rupture ou en continuité avec ce que tu as fais précédemment ?

J’ai l’impression que j’ai pris des choses qui étaient déjà là, que je les ai poussées plus loin, et que je les ai nommées clairement. Dans la manière dont je les ai poussées, c’est une continuité, mais dans la manière dont j’ai mis des mots dessus, c’est tout à fait nouveau. Avant, je mettais pas du tout de texte dans mes films. Tout passait par l’image. Alors que j’avais des tas d’écrits dans mes éditions. Et là, j’ai réussi à concilier textes et images pour la première fois, et maintenant ça va vraiment clarifier les projets qui doivent être purement visuels, les projets plus conceptuels, et les projets qui mélangent les deux. Ca a dessiné des contours plus clairs.

 

Si tu devais donner 3 adjectifs pour définir cette œuvre réalisée pour le Salon de Montrouge ?

Wow (rires) ! Déjà je dirais ludique, excitante, …ou stimulante,… C’est pas facile !

Faut que je trouve un mot plus cérébral, et un mot plus sensoriel du coup. Ca ferait un triangle.

Je peux pas dire hypnotisant, c’est hyper prétentieux,… Immersif ? Mais ça décrit plus des installations. Mais je pense que dans l’image y’a quelque chose d’immersif. C’est pareil, captivant c’est comme si je disais « géniale » quoi ! …Je dirais ludique, immersif et cérébral.

 

Quel est ton ressenti par rapport au Salon, en termes de visibilité, d’ambiance ?

Je suis très très contente. Déjà je suis montrougienne, donc c’est une consécration municipale (rires) ! Y’a effectivement une bonne ambiance, parce qu’on est beaucoup de la même génération, et on a beaucoup de préoccupations en commun. J’ai fais des super rencontres, artistiques, intellectuelles,… Notamment avec Marie Glaize, dont j’admire l’humanité, la gentillesse, et la générosité.

J’étais vraiment touchée de l’attention professionnelle qui règne. Ça passe aussi très bien par vous. Vous êtes une extension de cette attention qui est apportée aux artistes, à leur travail, à leur parcours, y’a un vrai support…

Et j’étais très contente parce que la thématique qu’ils ont voulu mettre en avant cette année, elle porte sur des questions qui me sont chères avec cette pièce. Marie Gautier a expliqué qu’ils avaient choisi une majorité d’artistes qui voulaient repenser les relations sociales, interpersonnelles, requestionner les questions de dominations, que ce soit le genre, la race, la classe sociale, etc. Et en plus je sais qu’ils m’ont mise en avant. Ils m’ont mise au début parce que j’illustre la tonalité de l’année. Parfois, quand il y a des communiqués autour du Salon qui veulent insister sur le féminisme, ils hésitent pas à leur donner mon image comme illustration. Donc pour moi c’est une vraie reconnaissance, d’avoir l’impression de participer à quelque chose qui est dans l’air. C’est normal, c’est l’année post Weinstein et gilets jaunes.

Le fait d’être placée au début justement, tu sens que ça t’apporte vraiment quelque chose en termes de visibilité ?

Oui, et en même temps je pensais au début que c’était une mauvaise idée, parce que je m’étais dis que quand tu commences une exposition avec une cinquantaine de personnes, t’as pas envie de t’immerger dans une vidéo. Je pensais qu’on allait passer devant et la zapper. En plus, c’est l’endroit où t’atterris, t’as besoin d’avoir de la place. Et finalement, je suis super contente de voir que les gens s’arrêtent et que ça ne désemplis pas.

 

Quelles sont les réactions du public ?

J’ai pas trop regardé, on m’a plutôt rapportée des réactions. Mais j’ai constaté que ça laissait peu de gens indifférents. Ça, c’est super. J’ai eu beaucoup de retours alors que je ne vais pas forcément voir les gens.

J’ai l’impression que y’a plein de gens qui le voient comme un éclaircissement, ce qui me fait plaisir, et me gêne un peu en même temps, parce que c’était pas ma prétention. Mais heureusement, y’a aussi certaines personnes que ça met en colère, dans le sens où, justement, l’aspect autoritaire du texte peut être perçu comme critiquable, et donc ça engendre des super conversations sur la place du spectateur, le didactisme, voire le démagogique. Mais je constate quand même que ce n’est jamais perçu comme une maladresse, au contraire, comme quelque chose de voulu et de contrôlé. Ça, c’est aussi une nouveauté dans mon travail, j’ai l’impression que j’ai réussi mon pari. J’ai touché juste, alors que parfois on vise un peu à côté. Mais j’ai travaillé avec une scénariste aussi, et ça m’a aidé à être bien précise.

 

Est-ce que tu penses éditer cette vidéo ? Tu voudrais la présenter ailleurs ?

Oui, et j’aimerais bien en parler avec l’association Françoise justement, qui apporte un soutien à ce niveau-là. Ca rejoint la discussion que j’ai eu à l’école avec mon directeur de recherches, qui est ouvert à l’idée que je produise un objet un peu hybride, entre recherche et art. Ensuite, j’ai pas trop réfléchi, parce que je suis nulle en communication, mais pour une fois que je fais un film de 10min, il est facile à montrer, donc il faut que je le fasse tourner. Je vais aussi l’envoyer en cinéma, en festivals, je vais essayer de jouer sur les deux tableaux.

 

Tu fais partie des quatre artistes soutenus par Françoise pour l’œuvre contemporaine sur ce Salon, est-ce que tu penses qu’il y a besoin de ce type d’accompagnements ?

Oui bien sûr, c’est génial d’être accompagnée, et pas uniquement pour la question financière. C’est aussi pour le sentiment de légitimité, qui est hyper compliqué pour nous, parce qu’on est tout le temps exclu de la société. Notre statut ne correspond à rien de précis, il est très compliqué. On est tout le temps dans les marges, donc cette reconnaissance-là est importante. Bien évidemment, le soutien matériel est aussi indispensable, et ce que j’ai particulièrement apprécié chez Françoise, c’est la cohérence avec les missions féministes, politiques, éducatives. J’ai trouvé que y’avait une vraie attention, une vraie implication. Y’avait une vraie démarche de votre part de rencontrer notre travail. Et se sentir rassuré là-dessus, c’est travailler mieux, et plus vite. Et l’autre petit détail que j’ai beaucoup apprécié, c’est quelque chose dont on a parlé au repas avec Estelle Francès ; elle m’a conseillé sur le prix de la mise en vente et le nombre d’exemplaires. Et ça, c’est des choses sur lesquelles on est très peu accompagné. Et même, on est volontairement intimidé sur ces sujets-là. Donc c’est important de pouvoir parler en toute confiance quand on a des doutes. C’est très rare.

Mais on a conscience que c’est difficile de nous rémunérer parfois. Comme là, Montrouge, c’est municipal, les budgets de la culture sont réduits, les aides de l’Etat baissent,… Et c’est super qu’ils nous mettent en lien avec d’autres structures partenaires qui peuvent nous soutenir financièrement.

 

Tu trouves difficile d’être artiste aujourd’hui ?

D’un côté, il y a la difficulté matérielle. Si on est issu d’un milieu aisé, on peut en être détaché et consacrer tout son temps à son travail. On travaille plus lentement, on est moins au courant des deadline pour les appels à projets, et on est pas tout le temps en train de faire un travail de veille, de communication. Et quand on a besoin de travailler ailleurs, et que en plus, comme moi, on décide de reprendre ses études pour faire d’autres choses, ça devient très compliqué. Mais je trouve que la difficulté elle se situe même à un niveau psychologique, parce que l’écosystème il est difficile à fabriquer. Il faut avoir une certaine production dans le privé, parce qu’il faut qu’il y ait une économie durable. Il faut avoir des choses plus grand public, plus accessible, et des terrains sur lesquels on peut être libre, d’avoir des formes inmontrables, impossible à diffuser, parce que c’est là qu’on fait de la recherche. Et on doit répondre à beaucoup d’injonctions, et à la fois être original, personnel, spontané, et en même temps très réfléchi, universel, commerçant. C’est souvent tentant d’abandonner, parce que y’a un sentiment d’être inutile à la société. Le Salon de Montrouge, typiquement, c’est énormément de montrougiens, de publics scolaires, des fondations privées et d’associations comme la vôtre,… C’est le type de salons où j’ai envie d’exposer toute ma vie. Donc j’espère que j’aurais d’autres expériences de ce genre.

 

Pour finir, quels sont tes projets à venir ?

Oui, déjà j’aimerais faire le livre qui accompagne cette vidéo, et qui va condenser aussi mes recherches en sociologie. J’aimerais écrire plus. J’ai rencontré un artiste sur le Salon, Adrien Van Melle, -qui a fait l’installation avec les téléphones portables- qui a une maison d’édition pour artistes. Et j’ai toute une recherche en ce moment sur Instagram sur le Slime, des pâtes qui se manipulent et qui sont très esthétiques. C’est des blogueuses avec des manucures parfaites qui les manipulent. C’est un mélange entre la satisfying video et le art & craft, donc ça m’intrigue beaucoup. Je crois que je vais faire une petite édition là-dessus. J’ai aussi deux projets vidéo. Une toute petite vidéo de portrait féminin que je vais tourner avec une actrice. Et un projet plus ambitieux de mise en relation des postures féminines actuelles et des postures masculines de groupe dans les tableaux hollandais du XVIIIe représentant les confréries qui ont créé le capitalisme. C’est un projet qui demande d’aller tourner au Rijksmuseum à Amsterdam, donc je ne sais pas si j’arriverais à le mener. Mais grâce au Salon, j’ai rencontré des producteurs, et ça c’est ce que je n’avais pas dans mes équipes.

Le Slime