Hélène Caiazzo
Construit autour de notre relation au non-humain, et notamment autour de l’image de l’animal et de l’imaginaire de la bête, mon travail sert d’écran de projection afin de questionner et remettre en cause l’identité humaine et ses activités au-delà du mythe, de la fable, ou de l’image fantasmée. Mes installations sculpturales sont comme des fac-similés dont on aurait perdu le modèle d’origine, comme des copies incomplètes et tronquées dont l’opérativité est symbolique.
Le choix des matériaux que j’emploie me permet d’annuler ou de sublimer la trivialité, la banalité ou la brutalité des choses et des images représentées. Ce sont des scènes immobiles dont on ne sait pas vraiment s’il s’agit d’un avant, d’un après ou d’un pendant. Chaque élément fait partie d’une histoire qui nous est inconnue, mais qui pourtant sonne familière. Je conçois chaque pièce comme un échantillon, indépendant dans son propos et dans sa forme plastique, mais faisant partie d’un tout, car née de recherches qui s’entrecroisent et se suivent afin de créer une genèse. L’homme s’efface derrière l’omniprésence de la figure animale qui pourtant laisse perceptible sa voix. Mutisme résonnant qui convoque faille et fragilité dans un jeu de miroirs où apparaît en filigrane une douce brutalité. La plupart de mes pièces font référence de manière directe ou non à l’esprit des natures mortes du 16/17ème siècle et plus largement à la peinture d’Europe du Nord. Mes sculptures/installations sont conçues comme des éléments de «tableaux», ce sont des scénettes. Elles sont des fragments narratifs à travers lesquels je m’efforce d’établir un lien entre quelque chose d’apparent et quelque chose de caché, entre ce qui est présent et ce qui ne l’est pas.
Aussi j’ai un intérêt pour la question du regard haptique, j’essaie de transmettre dans mes pièces un lien entre le regard, le «toucher», le geste et la matière. Les matériaux que j’emploie, principalement la terre et la cire sont au centre des images que je façonne et permettent de leur donner tout leur sens, qui prend aussi effet dans les titres que je leur donne. Même si le propos premier est différent, en seconde lecture il s’agira toujours de la question de la manipulation et de la transformation de la matière due à la charge symbolique des matériaux qui est une mise en abyme de la création sculpturale. Le travail ancré dans une inertie, faisant souvent écho à la mort, à une temporalité passée ou incertaine, sous le poids de la question de la transformation d’une materia prima demande quelque-part à être animé et à vivre. Et si ce n’est de manière effective, à l’être au moins de manière imaginaire.
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Les suspendus
2016
Colliers en céramique, branches de bois flotté
Dimension variablesEn suspension les colliers figent l’image de l’animal à laquelle il nous renvoient. Les bêtes sont à la fois manquantes et présentes. Les branches qui les supportent évoquent par leurs formes et leurs matérialités les bois, les griffes, les cornes de certains animaux. Le collier en céramique est rigide mais fragile. Il n’enserre plus aucun cou, mais reste néanmoins attaché à la symbolique de la domestication, contraire à une idée de liberté, d’état «sauvage», «naturel».
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Que la bête meure
2017,
Nature morte céramique émaillée, cire et résine
Elements dimensions variables, 25 x 35 x 25 cm«Que la Bête meure» est un burlesque tableau sculptural où les animaux fragmentés et chimériques sont en quelques sortes Still Alive, cotoyant pommes et écorces, il flaire bon l’automne, là où pour ne pas dire morte, la nature s’endort. Le tout renvoie une image de cabinet de curiosité, où l’élément de sculpture se fait objet-passion comme peut le dire Jean Baudrillard des objets de collection dans Le système des Objets.
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Bête de bois
2017,
Argile crue, palette industrielle
Dimensions variablesLa «Bête de Bois» c’est l’homme dans sa cabane au fond de la forêt, c’est le traqueur trappeur «chasse et pêche» , qui dépeçant les bêtes vit de son commerce de la traite de leurs belles fourrures. De l’écureuil au puma tout y passe, et peut-être même bien son Malamute. Ainsi congédié, traîneau n’avançant plus, ici faisant une halte, la peau factice sèche et repose sur son choir de fortune, palette industrielle opérant le dit détournement.
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Clabaude
2017,
Céramique et terre crue, 36 x 25 x 26 cm (x2)
Présentée au Chateau de Oiron lors de l'exposition collective "Time is out of joint"Ces pattes sont à l’image de la présence animale disséminée dans le château de Oiron : familière et chimérique, leur matérialité fait écho à tout un bestiaire imaginaire.
Fragment fantomatique rappelant à la fois le trophée de chasse, l’objet de braconnage et celui de collection, il est comme un trésor merveilleux venant augmenter pléthore de curiosités. -
Nothing's gonna hurt you Babe
Cire d’abeille, d’après moulage et empreinte de la tête d’un jeune cochon
40 x 31 x 21 cmComme une Imago funéraire accordée antiquement aux êtres chers, cette tête de porc est telle le repos éternel qui est venu la saisir plutôt, à la fois doux et cruel mais non dénuée d’un sourire paisible, et dont la mort est teintée par le parfum de la cire d’abeille.
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Massacre aux chiens
2017
Argile brune et argile grise non cuites
Dimensions variablesMassacre aux chiens est une scène de chasse inversée, la structure où sont posées les têtes de chien fait référence à un mirador d’affût, mais aussi à une selle de sculpteur pour travailler la terre, cet élément renvoie à la fois au travail et à la représentation du travail, à l’espace d’atelier comme à l’espace de monstration. Ces chiens siègent sur leur tour de guet, ils sont un panoptique étrange, prêt à sonner l’alarme, rappelant l’utilisation des chiens depuis toujours comme «outils» de chasse ou de guerre, postés à l’orée des camps, chiens sentinelles dénonciateurs, lancés lâchement sous les chars, Chiens-bombe et Devildog, instrumentalisés noblement à la chasse pour mettre aux Abois, ici nos fidèles compagnons nous regardent nous, bête humaine.