Gaëlle Callac
Jouer avec les mots autant qu’avec les images : voilà ce qui anime le travail de Gaëlle Callac. Car les mots ont pour elle une importance capitale. Qu’ils apparaissent au cœur de ses œuvres ou que leur présence se fasse plus discrète dans des titres particulièrement choisis, ils participent d’un même mouvement narratif.
Depuis une quinzaine d’années, elle déploie un récit susceptible de trouver un écho dans l’esprit de chacun : un récit de l’intime qui ne serait pas personnel, mais au contraire, se ferait universel, dans le refus de ce que Gilles Deleuze appelait la « petite affaire privée». Dès lors, l’usage de media jugés désuets – le super-8, le collage, la gravure – et le recours à des référents subtilement surannés – la carte postale ancienne, le proverbe, l’abécédaire – réveillent une mémoire collective un peu endormie, à l’âge du tout numérique et de ses nombreux avatars.
L’esthétique de Gaëlle Callac doit de loin en loin au surréalisme, celui des collages de Max Ernst, des peintures de René Magritte ou des 152 proverbes de Benjamin Péret et Paul Eluard. Elle se montre également très marquée par l’écriture cinématographique issue de la Nouvelle Vague, dont l’épure n’exclut pas un certain lyrisme.
Camille Viéville
Catalogue du 59 ème Salon de Montrouge.
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Élégies de Duino
Tant d’étoiles t’invitaient à les découvrir.
Première élégie de Duino, Rainer Maria RilkeRainer Maria Rilke a commencé l’écriture de « Les élégies des Duino » au Château de Duino, près de Trieste, en Italie.
Ce recueil composé de dix élégies a été écrit dix ans durant et achevé dans le Valais, en Suisse romande, au Château de Muzot. J’ai réalisé un triptyque en eau-forte unissant les châteaux et célébrant au centre, RMR, tourné vers le ciel et ses étoiles accueillantes. Comme support à la gravure, j’ai choisi une édition assez rare des Élégies, celle de Georges Fall, créateur des Éditions Falaize et dont c’est le premier livre publié, en 1949.“Élégies de Duino”, 2020.
Trois eaux-fortes sur pages de livre.
Existe en noir et en noir et rehaut d’encre de Chine rouge. -
Le livre de la montagne
"Tout le monde veut vivre au sommet de la montagne, sans soupçonner que le vrai bonheur est dans la manière de gravir la pente".
Cette citation de Gabriel Garcia Marquez semble bien actuelle si on en juge les photos récentes de l’embouteillage au sommet de l'Éverest. Cependant, il ne me semble pas, comme le souligne l’écrivain, que l’Homme souhaite vivre au sommet de la montagne. Le sommet est bien étroit et la montagne une conquête perpétuelle. Quand un homme atteint un sommet, il espère ainsi, non pas y vivre, mais en gravir un autre un peu plus élevé, et ainsi de suite... Parfois même au péril de sa vie.
Autrefois, les monastères, les abbayes étaient construits en altitude, dans des endroits reculés, escarpés, inaccessibles au marcheur commun. Le religieux souhaitait s’approcher au plus près du divin céleste et s’éloigner du monde d’en bas. La paix de l’esprit, la méditation, la prière nécessitant, solitude, épure, silence. Puis, "l’Homme civilisé", a éprouvé, lui aussi, le besoin d’ériger des monuments de grande taille dans les villes, des bâtiments rivalisant de hauteurs avec les sommets naturels. Ces gratte-ciels n’ont cessé ces dernières années de proliférer dans le monde et leur utilité est souvent dédiée à la finance, au commerce, à la consommation, au monde économique.
À la contemplation des magnifiques sommets ou au regard de gravures anciennes qui les représentent, je me sens minuscule. C’est avec ce sentiment que j’ai investi, un panorama à ma dimension : celui d’une page de livre, ce avec ma technique de prédilection : la gravure. Le titre du livre élu est presque prétentieux “Le livre de la montagne” et contrebalancé par son sous-titre “Essai d’une esthétique d’un paysage”.
À la manière d'un peintre naturaliste, je réalise quelques gravures sur plusieurs pages de titre de ce même ouvrage. Le format de l'eau-forte étant toujours identique. Ces “essais d’une esthétique d’un paysage” mêlent les montagnes naturelles et celles que l’Homme s’est construites. -
Les plaisirs et les jours
Les jours se suivent, se ressemblent et ne se ressemblent pas.
Chaque jour amène cependant certains gestes qui se répètent par nécessité, par devoir, par plaisir, jour après jour... Les mêmes mouvements se renouvellent instinctivement entraînant souvent des actions similaires. Ces comportements répétés créent les habitudes qui s’ancrent pernicieusement et qui transforment parfois le quotidien dans ce qui est communément appelé la routine.Si notre quotidien à tous se ressemble sensiblement dans la vie matérielle, substantielle, il diffère cependant en fonction de notre idiosyncrasie. Ne dit-on pas qu’il faut partager le quotidien de ses amis pour les connaître véritablement ? La personnalité, le caractère de chacun se révèlerait ainsi dans ses petits gestes réitérés, ses manies, ses habitudes, ses secrets, ses vices… Le quotidien jouxte ainsi l’intime, reflète ce que l’on est.
Le quotidien peut être, par ailleurs, un refuge, un cocon, un endroit à soi où il est doux de se retrouver à l’abri du monde extérieur. Les objets usuels, prosaïques, du quotidien deviennent alors des compagnons rassurants auxquels l’on se réfère, l’on s’accroche.
Ces objets inanimés connaissent nos joies et nos peines, partagent notre vie parfois depuis longtemps. Et, notre âme y est attachée souvent plus qu’elle ne se l’imagine…Ainsi, mets-je en scène des objets usuels à caractère universel que l’on utilise avec régularité : cafetière, éponge, vaisselle, etc. Avec leur connivence, je tente de sublimer, de romancer le quotidien en apportant à mes images une pointe de sel, un grain de fantaisie, d’humour, de causticité. Sans hauteur sur la vie quotidienne, sur ce que nous sommes intimement, le quotidien ne peut-il pas être banalement répétitif, usant et l’existence se consumer dans la vie domestique avec toutes les tâches ingrates qu’elle impose ?
Parce que la littérature et la gravure sont indissociables de mon quotidien, je choisis un livre « Les plaisirs et les jours » de Marcel Proust qui est la matrice des eaux-fortes réalisées.
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L' éponge
Cette gravure fait partie de "Variations autour de l'eau", une série de cinq gravures qui honorent l’eau. À partir de romans dont les titres composés de noms désignant des objets, des choses, des concepts inséparables de l’eau, j’ai crée des images amusantes où la femme est l’actrice principale. Ici “L’éponge” qui rappelle qu'il faut posséder les objets et non être possédé par eux.
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L'image
Tout commence par un livre intitulé "L'image" de Samuel Beckett écrit en 1950 et publié aux éditions de Minuit en 1988. Ce court récit peut se résumer ainsi : une seule phrase de dix pages, sans virgule mais avec une majuscule et un point final, dans laquelle un narrateur raconte le souvenir d’une curieuse balade amoureuse à travers champs.
Je me suis appropriée cet ouvrage, à partir duquel j’ai réalisé douze gravures en intervenant sur ses propres pages. Du texte de l'auteur, je n’ai gardé sur chaque page que quelques mots, qui mis bout à bout, forment une très courte histoire : “La rose s'ouvre soudain pour comble de bonheur d'un rouge exquis dans cette immensité de verdure. Rouge à la boutonnière la même rose en silence s'éteint à présent."
Pour ce faire, j'ai masqué en eau-forte par de la couleur ; du rouge, du vert, du noir ; certains mots et mis en valeur d'autres mots en les colorant. Certaines pages gravées ressemblent ainsi à des monochromes tandis que d’autres sont presque blanches avec un rehaut de couleur rouge.
"L'image" est une suite de douze eaux-fortes qui se “lisent” dans la chronologie du livre initial. Page après page, gravure après gravure, le spectateur découvre une autre histoire écrite à son insu par Samuel Beckett et que je révèle. "Je m'en vais tout effacer sauf les fleurs", écrit Samuel Beckett dans "Têtes mortes".