Jérôme de Vienne
Jérôme de Vienne a d’abord suivi des études théoriques de littérature et d’histoire de l’art avant de se consacrer exclusivement à la pratique, à l’École Européenne Supérieure de l’Image de Poitiers. Diplômé en 2015 avec Félicitations (DNSEP), il poursuit ses recherches sur la pratique de la peinture, en l’inscrivant dans une démarche critique et historique marquée par l’art conceptuel.
Œuvres à programme, interrogation des limites de l’œuvre et son contexte d’exposition, appropriation d’images ou d’objets sont autant de moyens mis au service d’un travail visuel où les notions de style, de virtuosité et d’originalité s’effritent. L’écriture, mais également l’assemblage d’objets ou la photographie (parfois trouvée) sont des moyens auxquels il recourt dans sa recherche sur les moyens et la nécessité de la peinture.
Né en 1989 ; vit et travaille actuellement à Paris.
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L’image de …
2014
huile sur isorel récupéré
152 x 70 cm
L’image de tout ce travail en amont pourrait donc bien être elle-même une œuvre. Il suffirait alors de peindre la photographie d’un tel texte, mais pour cela, ce texte devrait précisément concerner une œuvre dont la raison d’être soit celle-ci. -
Robert Ryman, Used Paint
Livre d’artiste, éditions isti mirant stella
juin 2015
Robert Ryman, Used Paint fait partie d’une série de courts textes poétiques, appropriés plutôt qu’écrits, créés à partir de catalogues monographiques de Robert Ryman. J’ai seulement isolé dans les catalogues, à chaque fois qu’une peinture est reproduite, la description des matériaux utilisés.
Pour Robert Ryman en effet – mais pas seulement – le travail de questionnement des moyens de la peinture est si poussé que les rédacteurs sont obligés, pour qualifier les peintures, de rentrer dans un luxe de détails qui confine à l’ekphrasis.
J’ai décidé de vérifier – au sens étymologique (faire vraie) – cette impression en déplaçant ces textes dans la forme d’un recueil poétique, où les regroupements par strophes, poèmes, sections sont induits par l’organisation iconographique du catalogue.
Ce livre a été publié en 2015 aux éditions ISTI MIRANT STELLA, maison d’édition consacrée à la poésie. Cela achève la transformation du texte technique en l’objet littéraire qu’il semblait être.lien vers le site de la maison d’édition : http://www.isti-mirant-stella.com/ims003
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Richter, Catalogue Raisonné n° 1
2014
huile sur toile, d’après une gouache sur toile trouvée
46 x 38 cmÀ partir du début des années 1960, Gerhard Richter met en place le procédé de peinture qui le fera connaître, où il reproduit de façon extrêmement réaliste des photographies déjà existantes. La surface de ces peintures est brouillée latéralement, floutée, ce qui lui permet de « faire de la photographie avec les moyens de la peinture », selon sa formule.
Il me semble que cette technique de peinture permet de transformer n’importe quelle image en une représentation photographique, y compris des images abstraites. J’ai donc décidé de vérifier cela en appliquant ce procédé à un type d’image qui semble a priori la moins photographique possible : un petit paysage que j’ai trouvé dans la rue, peint sur toile, probablement par un enfant. Une colline, un ciel, trois arbres, des nuages et un soleil. L’idée d’un paysage plus qu’une représentation, une œuvre presque conceptuelle en somme.
J’ai donc reproduit cette image à l’huile sur toile, en appliquant cette formule magique de Richter avec toute la naïveté que réclamait l’image choisie.
Il me fallait alors un critère pour juger le résultat, un crible auquel passer l’image reproduite pour valider son aspect photographique, pour vérifier l’expérience. J’ai donc fait une recherche d’images sur Google, pour examiner les résultats similaires : si le moteur de recherche me donnait majoritairement des photographies, j’estimais que cette hypothèse serait validée, et la méthode alchimique de Richter vérifiée.
À la place, Google a fait apparaître une toile de Gerhard Richter lui-même, Tisch (Table), de 1962, la première toile du catalogue raisonné du peintre allemand.
J’ai eu le sentiment qu’il ne fallait plus y toucher. -
Sculpture
2014
Livre usagé sur socle (ready-made)
40 x 21 cm, pièce uniqueIl s’agit d’une vérification par l’expérience.
L’envie de voir ce que donnerait un tableau qui ne serait rien d’autre que l’image de son propre cartel ; une sculpture qui serait son propre socle. Inverser ainsi l’ordre habituel entre la création d’une forme d’un côté, et de l’autre sa description, son contexte d’exposition.
Il s’agit d’un livre sur la sculpture trouvé dans une bibliothèque, la tranche cassée dans la longueur séparant en deux le mot «sculpture». Ce mot étant ainsi mis en valeur, il semblait désigner l’objet même sur lequel il est apposé. Le livre se transformait en socle, et le titre en cartel de la sculpture ainsi constituée.
J’ai racheté un exemplaire neuf pour le remplacer dans la bibliothèque, et en ai fait ma première sculpture. Le socle est fait sur mesure de façon à mettre suffisamment de distance avec le spectateur pour qu’il n’ose plus ouvrir le livre ni feuilleter les pages. -
En 1915, Kazimir Malévitch présente pour la première fois le Carré Noir sur fond blanc à l’exposition « 0,10 (zéro-dix), Dernière Exposition Futuriste » à Petrograd. Vers la fin des années 1920, Malévitch peint de nouveau le même motif, dans un format légèrement différent. On peut lire au revers « K. Malévitch 1913 », et sur le châssis : « K. Malévitch n°1 ». Ainsi, il faisait de faire de cette forme symbolique la porte d’entrée vers ses recherches vers l’abstraction.
Je me suis intéressé à cette fiction, particulièrement révélatrice des théories modernistes dont nous sommes aujourd’hui bien loin, et j’ai décidé de prendre au sérieux ces données historiques contradictoires. De prendre au sérieux surtout les images glanées sur internet en tapant : « Kazimir Malévitch, Carré noir sur fond blanc, 1913 » : décider qu’elles représentaient effectivement un objet réel, qui resterait à créer pour donner raison à ces photographies sans référent.
К. Малевич 1913 est donc le titre générique de la série qui se déploie en quatre tableaux reprenant les formats des différents carrés noirs peints sur toile par Malévitch. Ils sont autant de versions possibles d’une œuvre conceptuelle avant la lettre, autant d’interrogations sur la visibilité des œuvres d’art, leur reproduction, et la nécessité de la peinture. -
Sans titre (Eurêka)
2015
peinture acrylique blanche sur acier, action documentée
520 x 360 x 8.2 cm, 3 joursDans le cadre d’une semaine de résidence au FRAC Poitou-Charentes pour une exposition collective, j’ai décidé de repeindre en blanc l’ancien panneau d’affichage du FRAC, posé le long de la nationale 10.
Ce geste minimal, simple, permet à cet objet de questionner son environnement, de souligner son contexte en l’incluant dans l’œuvre : sa situation géographique, le passage des camions, le décor qu’il cadre à la façon d’un écran de cinéma vertical, ainsi que la vacuité de ce support publicitaire d’une institution culturelle décentralisée qui ne désigne plus que lui-même, et vaut pour ses qualités plastiques propres.
Enfin, c’est la question de la nécessité qui est posée ici ; celle de décider de rendre nécessaire dans sa forme cet objet en le montrant comme autonome, mais également celle de l’activité picturale, qui se satisfait ici de souligner temporairement un objet déjà-là, qui condense toutes les propriétés de la peinture : planéité, immobilité, recouvrement d’une surface par une couleur, gestes et durée du travail du peintre, puis dégradation par le temps.