Mélanie Lefebvre
La présence qui impose. Dans des compositions au cadrage serré, des étreintes semblent s’offrir à notre indiscrétion
dans des scènes à l‘intrigue incertaine et qui nous placent en position troublante de déranger une intimité. Les toiles sont
couvertes d’une peinture à l’huile lisse et fine où dominent jusqu’à satiété, roses, carmins, pourpres et incarnats. Entre
puissance du détail grossi, anamorphose et stylisation, la peinture, saturée de vrai, soulève pour le spectateur l’inconfort
d’être là sans avoir été tout à fait invité.
Comme des acteurs jouant leur propre intrigue, des mains fortes pressent des chairs dans des liturgies de cérémonies
secrètes. Fétiches, gestes guérisseurs, marionnettes désarticulées, impositions rituelles ou caresses. Les doigts agissent
comme des quasi personnages qui auraient congédié leur auteur. Sous des apparences familières, ils jouent pour nous la
drôle d’histoire de ce qui se dérobe.
Mélanie Lefebvre présente des corps morcelés et instables, parcourus par des intensités contraires qui donnent à ces
objets partiels des postures inédites et théâtralisées. Effleurements, emprises et pressions. Rictus. Outrance surjouée.
Rouages d’épiderme et mécanismes. L’artiste creuse les anatomies, lisse le velours des matières, hausse les teintes,
jusqu’à l’irréel, des tons cerise et fuchsia, force la tension des articulations vers l’exubérance et fait courir l’hydrographie
des veines bleues sur l’orange.
Le gros plan libère l’espace de sa profondeur de récit. Il installe la scène ici et maintenant. La peinture dévoile alors la
surréalité d’une nouvelle vie et de ses chairs palpitant sous la peau. Une déconstruction des évidences pour une vérité
crue derrière un paraître. Ni passé ni futur, mais la visibilité hallucinée du trop près qui isole et défait des organes sans
corps en fragments réifiés. Il faut se convaincre que l’artiste ne prélève pas des éléments d’un ensemble dont ils font
témoignage, mais qu’au contraire, pour les imaginer libres, elle les élève au rang de pures créatures affranchies, comme
libérées du décor d’une histoire ou allégées du poids d’une passion.
Chaque toile de Mélanie Lefebvre est le théâtre d’un rituel sans violence, ni provocation. Elle invite simplement à voir
mieux ce qui aveugle. Ce qui est peint ne se dissimule pas sous des virtuosités plaisantes mais s’offre nu comme le
foyer fascinant d’une lampe autour de laquelle se brûlent les regards qui se pressent et les mots qui cherchent en vain
à donner consistance à ce qui ne se voit pas.
Des flux d’énergie parcourent les nuques et des poitrines d’hommes sous les doigts mêlés. Dans cette peinture dressée
comme une machine à voir, il n’y a pas d’éparpillement de détails ou de papillotage de descriptions réalistes qui
affaiblirait un ensemble. Tout y est dit qui conduit à l’essentiel. La texture des choses et des êtres sans nom dans leur
proximité dérangeante. Les muscles lustrés comme des sculptures dans un espace où la peau, dans un frémir d’aimer,
est brûlante de couleur. Une nudité primitive.
Enveloppant ces présences impossibles comme des spectres, l’artiste se joue du miroir de l’apparence quand elle
recouvre d’un rose rêvé ce qui sépare les tumultes intérieurs et la topographie visible des peaux, ce qui dissimule l’intime
et les vanités de ses protections. Une vie des corps plus réels que la réalité.
Christian Sozzi, Galerie B+
Scopique — Mélanie Lefebvre
Juin 2022 à la Galerie B+
Diplômée des Beaux arts de Lyon en 2013 , Mélanie Lefebvre a notamment exposé son travail au Musée Fabre à Montpellier .