Mathilde Jouen
Mathilde Jouen est née en 1987, elle vit et travaille à Caen. Elle sort diplômée d’un DNSEP de l’Ecole Supérieure d’Arts et Médias de Caen en 2011. Elle entame par la suite un travail de recherche en validant un Master 2 en Art Contemporain à Paris 8 puis un doctorat en 2016 sous la direction du peintre François Jeune. Sa thèse de création parle des relations entre l’art contemporain et l’(a)pesanteur, notamment en sculpture et installation. Elle met en évidence une tendance esthétique de la légèreté qui vient contrer la « pesanteur du monde » qui nous entoure, autant d’un point de vue plastique que d’un point de vue existentiel. Elle théorise ainsi la dialectique de l’envol et de la chute. Mathilde Jouen est donc chercheuse mais avant tout plasticienne puisque son travail de recherche est fondé sur sa pratique. À travers un processus de création qui s’apparente parfois à de l’expérimentation scientifique, son travail plastique explore les possibilités du matériau et utilise ses propriétés intrinsèques afin de générer des sensations de poids ou de légèreté. Ainsi elle interroge le rapport que nous entretenons avec notre verticalité dans un souci toujours grandissant de transcender notre horizontalité originelle.
Site internet : mathildejouen.com
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Présent
Quand le temps se fait matière.
J’ai longtemps cherché à solidifier le temps, à le rendre palpable et pérenne. Et c’est avec une pièce que j’intitule "Présent" que j’ai pu saisir le temps à l’oeuvre. C’est un sablier en ciment, matériau composé de sable. Le sable qui écoule la durée verticalement s’est figé dans la forme. L’objet résonne comme un fossile. Suspendre la matière dans sa substance, dans l’instant. J’ai voulu détourner un objet par sa matière même. Le sablier, généralement composé de verre et de sable, est un objet qui fonctionne uniquement grâce à la force de gravité. C’est la pesanteur qui mesure le temps qui s’écoule. "Présent" est une forme de temps fossilisé. C’est aussi un objet suspendu : suspendu de ses fonctions et suspendu dans le temps. -
Entre-Espace
Entre-Espace est une installation qui relie deux plans : l’un est horizontal et graphique, l’autre est vertical et sculptural. C’est la matière qui tisse un lien spatial entre deux états de la forme sphérique. Huit globes sont suspendus dans l’espace et surplombent un dessin grand format, posé sur le sol.
Le graphite, matériau du dessin, recouvre la surface des globes et façonne leur aspect sensible. Il leur offre une nouvelle densité visuelle. Le dessin des sphères, qui semblent se projeter comme des ombres sur la surface du papier, est réalisé également au crayon graphite.
Le passage du dessin au volume s’opère dans un glissement vertical du regard et se cristallise, suspendu. Comme si la figure s’élevait, s’émancipait du sol pour venir se matérialiser et se solidifier dans l’espace. Les sphères sont des objets de projection céleste depuis des millénaires, des vecteurs d’imaginaire spatial qui accompagnent le regard dans des territoires sans gravité. Entre-Espace interroge cette poétique du cosmique. -
Les os dormants
Cette sculpture se compose de branches de corail en céramique. Je les façonne à la main et les perce parfois de petits trous avec une aiguille, pour imiter le matériau d’origine. Laissées brutes et blanches, elles sont cuites puis assemblées en tas pour former une ou plusieurs sculptures. Elles évoquent finalement un tas d’ossements, comme ce qui resterait d’un corps.
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Météorites
Série de 35 météorites en céramique émaillée, chaque pièce fait environ 15 x 10 cm
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Avancer
« Avancer » est le tout premier autoportrait que je réalise en 2017, juste après la soutenance de ma thèse de création sur le sujet « (A)pesanteur et art contemporain ». Sur l’image, je suis assise à l’arrière d’un train qui avance. Le paysage à l’arrière-plan est esquissé et semble disparaitre, volant à toute vitesse. On ne distingue pas mon visage qui est plongé dans le noir et seulement une épaule, le haut de mon crâne et ma main sont dans la lumière. Cet autoportrait pourrait paraitre en marge de ma pratique habituelle de la sculpture, de l’installation et du dessin et pourtant il s’inscrit totalement dans mon travail. Mon dessin parle du cheminement artistique, de ce que c’est que d’être artiste : il faut sans cesse avancer dans le noir, sans savoir où l’on va exactement tandis que derrière soi, le passé s’estompe dans la lumière. Être artiste, c’est une perpétuelle remise en question, une trajectoire dont on ne connait pas les contours, mais qui nécessite de ne « jamais renoncer ». C’est un choix de vie difficile qui demande beaucoup d’ambition et d’énergie pour se faire une place dans le monde institutionnel. Mais c’est aussi une force qui tire sans cesse en avant et qui oblige à se relever sans relâche.
Le crayonné de mon dessin pourrait être qualifié de « chutant » pour les parties sombres du premier plan, tandis qu’il se fait léger et aérien pour le paysage en arrière-plan, plus détaché, dans la transparence. Et cela évoque cette dualité de « l’(a)pesanteur de l’être » que je développe dans ma thèse : un rapport au monde et au temps qui oscille en permanence entre chute et élévation. Entre une pesanteur qui nous rive au sol et une tension vers l’apesanteur qui caractérise l’imaginaire et les ambitions artistiques. Le travail plastique se détermine aussi par ces moments de chute, de découragement et ces merveilleux instants d’élévation lorsque se déroule l’acte de création, quand arrive la trouvaille. Cet autoportrait parle du parcours émotionnel artistique, à l’image d’une vie : des moments sombres et des moments de lumière intense, qui fabriquent l’essentiel d’une pratique sculpturale et graphique. C’est un combat contre et avec soi-même dans un train qui est en marche et qui ne s’arrête jamais.