Honorine Pardon
Dans l’entre-deux mondes du travail et des vacances, on cause et on pourparle, comme une tentative d’apaisement, une trêve dans l’insolvable rivalité entre labeur et farniente. Invoquer le populaire dans sa matérialité quotidienne, en cherchant sans cesse le sensible dans ce qu’il y a de plus prosaïque, là où la douce ironie du monde nous chuchote que tout n’est pas foutu.
Il y a de ces objets qui ont beaucoup à dire, qui en ont gros, car ils portent en eux, dans ce qu’ils ont de plus formel et symbolique, les stigmates de notre société. Piégés dans la valeur qu’on leurs accorde, ils attendent qu’on les bousculent. Inaperçus dans notre quotidien, ils veulent faire parler d’eux.
Qu’en est-il alors du faiseur et du regardeur ? C’est par leurs mains, c’est par leurs yeux qu’ils permettent à l’objet d’exister, qu’ils lui déterminent un statut, hiérarchisant par leurs biais la société toute entière. Bienheureusement, rien d’irrémédiable, si tant est, qu’on en discute.
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Appentis
Tel un modèle de présentation qu’on pourrait croiser dans le prochain salon de la construction, Appentis interroge l’objet, tant dans sa reproductibilité que dans sa manière d’être conçu. Par quelle main, dans quel but ?
Une tentative d’un retour à la main, un éloge du faire, où l’utilitaire tendrait à prendre le pas sur l’esthétique. Mais la valeur, qu’elle soit marchande ou poétique, n’a finalement rien d’intrinsèque, tout dépend du regardeur. Dans les yeux de l’artiste ou dans la main du couvreur, rien n’est déterminé.Appentis, Argile blanche et tasseaux, 100 x 137 x 37 cm, 2019
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Enjoliveur
Véritable art de l’esthétisation automobile, le tuning place le paraitre bien au deça de l’utilité première de la voiture. De l’ordre de la performance et du spectaculaire, cet art marginal et populaire coûte cher à ses passionnés, qui investissent dans leurs véhicules des sommes aussi impressionnantes que leurs bolides. Mais quand on aime, on compte quand même, et pour ceux qui ne peuvent pas se permettre d’exhiber fièrement leurs jantes alu, un bel enjoliveur en plastique chromé fait très bien l’affaire.
La permutation des matériaux perturbe ici l’ordre hiérarchique de l’objet, influant directement sur sa valeur matérielle, économique, et donc esthétique.Enjoliveur, aluminium, leds, arbre magique, 44 cm, 2020
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Temps libre
Chaque travail mérite vacances. L’un in- combe souvent à l’autre. Ici les plaques dé- coratives des villas de villégiature bourgeoise ne parlent plus de fleurs mais de tourisme social. Le chèque vacances, seul vestige du feu Ministère du Temps Libre, est le sym- bole sacré de l’utopie socialiste à la fran- çaise. Pourtant, pour ce qui est des vacances comme du travail, il est d’usage que chacun reste à la place qui lui est destiné, car il ne faudrait pas oublier que le temps, c’est de l’argent.
Temps libre, plaques de faïence émaillées, 39 x 14 cm, 2020
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Aire de jeux
Installation constructible et dé-constructible à l’infini, aire de jeux s’alimentant au fil du temps, au gré des trouvailles et des récupérations improvistes. Elle se plie et se déplie dans l’espace, s’adapte à ses moindres recoins, se joue de lui, en tire partie pour déployer sa narration scénographique. Chaque monstration est unique, transitoire et autorisée à se mouvoir le temps d’une même représentation. Objets manufacturés, céramiques d’atelier, vacances et chantiers se côtoient et dialoguent ensemble, le temps d’un accrochage.
Aire de jeux (vue de l’installation Aire de jeux 4.0), installation, mousses isolantes pour sol, objets divers et céramiques, dimensions variables, 2019