Lara AL-GUBORY
Diplômée de l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris en 2021 après un master «Lettres Arts et Pensée Contemporaine» à l’université Paris VII Denis Diderot, j’ai décidé de me consacrer à la pratique photographique aux côtés de Patrick Faigenbaum, chef d’atelier aux Beaux-Arts de Paris où je suis entrée en 2016. J’ai également rejoint l’atelier de Clément Cogitore lors de son arrivée aux Beaux-Arts en 2018 afin de développer ma pratique de la vidéo, puis l’atelier de moulage de Philippe Renault. Je participe depuis trois ans au festival PhotoSaintGermain, j’ai également exposé mes travaux à la Villa des Arts, au CENTQUATRE et à l’Hôtel Louisiane en 2019, au Louvre, à la fondation d’entreprise Pernod Ricard et à la galerie Immix en 2022, à la galerie de l’université Paris 8 et à la galerie Verein Fortuna à Vienne en 2023.
C’est du désir, encyclopédique, de saisir le monde – au double sens d’appréhender et de comprendre – que vient le besoin de constituer, au moyen des images, une mémoire matérielle, qui se voudrait infaillible, capable de tout retenir, de tout restituer. Cette tâche, impossible mais toujours reprise, fournit à l’imagination des occasions de travailler à partir de formes infiniment renouvelées. Les ensembles que je compose sont faits d’images et d’objets tirés d’un fonds où ils retourneront après avoir été associés, le temps que devienne sensible la survivance, comme aurait dit Aby Warburg, de quelques formes.Ces assemblages, de matières et de formes, de portraits d’objets ou de personnes, donnent une image à ce qui n’en a pas: le temps, la mémoire, l’intime. L’éphémère et la trace donnent accès, alors, à un temps qui dépasse celui de nos existences. Nous ne sommes plus seulement replacés dans l’échelle du temps de l’Histoire humaine, mais dans celle encore plus longue de l’Histoire naturelle. Ma pratique partage avec cette dernière l’ambition de rendre sensible la diversité et la solidarité de l’organique et de l’inorganique. Travaillant, j’ai présente à l’esprit l’idée, défendue autrefois par Giordano Bruno, d’un monde unitaire où tout étant ne se comprend que comme lié à d’autres que lui. Je tente d’élaborer quelque chose comme une écologie des formes où s’élaborent des associations par lesquelles sont suggérées les relations entre les choses.
L’accumulation empêche l’émergence d’une narration linéaire et le hasard, alors, s’insinue dans la lecture des images, qui rappelle le fonctionnement de notre mémoire: ce qui demeure de ce que nous avons vécu est morcelé en une mosaïque de traces diverses, qui, lorsqu’elles remontent à la surface de notre conscience re-forment un tout. Mon travail s’exprime ainsi par fragments, au-delà de l’unité de l’œuvre, je cherche avant tout un rythme. Chaque exposition est l’occasion d’inventer un montage conjuguant intentions partiales et trouvailles imprévues, dans un dispositif ouvert aux correspondances ; un espace de liberté capable de susciter de nouvelles représentations sensibles.
«Je ferme les yeux pour laisser rayonner des restes ou des commencements de restes.»
Paul Valéry
-
Rien, que des fragments
Exposition Université Paris 8, mars 2023.
Tirages jet d'encre, dates et formats divers.
Philippe Descola nous rappelle dans Par-delà nature et culture, que notre conception de la nature est relativement récente ; née en Europe il y a environ quatre siècles, elle distingue société et nature comme si l’Homme était en dehors d’elle. Dans cette première exposition personnelle, j’ai tenté de créer un ensemble qui porte en lui cette dualité, afin de questionner ce qui dans la nature est culturel, et ce qui dans la culture est naturel. Les recherches que je poursuis portent, aussi sur la manière de montrer, de voir et faire voir : comment faire vivre les ensembles que je compose et faire en sorte qu’ils transmettent au spectateur une expérience de ces relations, visibles et invisibles, que nous entretenons avec ce qui nous entoure ? J’aimerais faire en sorte que la photographie ne désigne ni des êtres, ni des matières, ni des formes, mais des rapports, des liens. Même si nous nous retrouvons face à une collection, la présentation des images n’obéit à aucune classification, il n’y a pas de pas de hiérarchie entre l’ancien et le récent, le banal et le rare. La série, comme un petit musée avec ses propres règles, admet une infinité d’associations qui, sur la scène de l’imagination, deviennent un répertoire de formes à interpréter de façon sélective et personnelle, autant que collective et intemporelle.
-
L'esprit de la matière
Exposition PhotoSaintGermain, Beaux-Arts de Paris, novembre 2022.
33 tirages jet d'encre, 22-30cm.
La photographie est toujours double, elle est l’instant et le reste, deux temporalités indissociables. Elle crée nécessairement des fantômes. Elle est aussi probablement le meilleur outil pour les révéler, car elle développe en nous une attention particulière à ce qui nous entoure, aux présences les plus discrètes, aux traces les plus légères. Si on est patient, et observateur, on peut voir s’incarner dans les choses laissées à elles-mêmes, les esprits qui habitent les objets et les matières, qui s’attachent aux choses sans logique interne. Un aspect insolite, un mouvement anormal, attirent soudain notre attention, l’œil de l’appareil saisi alors l’association hasardeuse de formes et évènements qui semblent obéir à un principe qui nous échappe. Apparitions, disparitions, dispositions, ces phénomènes à priori inexplicables seraient les traces laissées par ces esprits qui aimeraient peut-être nous rappeler que le hasard peut jouer un rôle semblable à celui de la causalité dans certaines explications les plus complexes de la matière vivante. Pour un court instant, nous sommes enchantés par la chance d’avoir pu surprendre une de ces manifestations improbables, qui nous sortent de l’ordinaire ; heureux de pouvoir ressusciter ce qui était voué à disparaitre, à ne pas être vu. Ce que j’essaye de saisir avec l’appareil ce sont ces quelques secondes pendant lesquelles l’image est possédée, habitée.