Daniela Lorini
Je suis née à La Paz, capitale acrobate juchée à près de 4000 mètres d’altitude sur un versant de l’altiplano bolivien là où,
en plein coeur des Andes, la cordillère entame une plongée subite vers les plaines de l’Amazonie. C’est un lieu minéral où la végétation
racornie doit s’extraire de la roche et arracher sa vie à un sol d’argile desséché par le soleil. C’est aussi, paradoxalement un creusé fertile
de traditions, de rituels et de fêtes lors desquelles on fait offrande à la Pachamama et accomplit la Ch’alla pour bénir voitures, habitations
et commerces tous ans pour carnaval.
En 2017, une bourse d’étude m'a permis de venir en France suivre le Programme de recherche PRIST, Arts et Sciences à l’ESÄ Nord-
Pas-de-Calais. L'année 2019 j'ai été lauréate du prix Wicar de la ville de Lille. J'ai développé, dans le cadre de cette résidence à Rome,
un projet sur la mémoire et les mythes à partir d’archives familiales et historiques. J'ai obtenu, peu de temps après, la bourse Airlab
de la COMUE Lille Nord de France pour un travail de recherche artistique sur l’évolution des écosystèmes souterrain par une analyse
acoustique des sols, mené en collaboration avec L’Unité Evo-Eco-Paléo et le laboratoire de Génie Civil et géo-environnement de
l’Université de Lille.
Depuis 2020, je développe avec l'aide d'une bourse de production de la région des Hauts-de-France un projet sur les algues et les forêts
sous-marines. Dans ce cadre, je mène une recherche sur les textures, les matériaux et des processus chimiques de développement
photographique pour la réalisation une installation graphique et sonore.
J’ai pu présenter mes travaux en Bolivie, en Espagne, au Brésil, au Danemark, en Italie et en France.
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Kyanos
Kyanos est une installation plastique et vidéo qui nous renvoie aux origines du monde en mettant en scène la cyanobactérie, le plus ancien être vivant dont on trouve les traces sur terre jusqu’aux alentours de 3,8 milliards d’années. C’est en effet grâce à ce micro-organisme unicellulaire que la vie a été rendue possible sur notre planète par un processus de fixation du carbone qui permit de libérer le dioxygène c’est-à-dire l’oxygène. Loin de prétendre être une exposition scientifique ou didactique, Kyanos est plutôt une œuvre poétique et conceptuelle qui propose de nous confronter à nos propres origines et à notre existence laquelle résulte finalement d’un enchaînement de circonstances favorables et fortuites. C’est cette histoire passionnante qui est représentée ici.
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Le chant du terril
Dans Le chant du terril, quatre haut-parleurs fixés sur des tiges métalliques semblent surgir du sol dans une volonté de s’imposer au visiteur. Il en émane des compositions sonores créées à partir d’enregistrements dans les sous-sols du terril 11/19 de Loos-en-Gohelle et des champs alentours. Ces sons mineraux et creux rendent compte de la perte de biodiversité dues à la pollution des sols mais aussi des transformations des milieux naturels sous l’effet de l’activité humaine méprisante des équilibres de vie.
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Aquogeno
Cette oeuvre souligne l’origine du vivant dans sa forme la plus primitive, celle qui a pu naître en dépits d’un environnement peu favorable. Dans la salle, le public se retrouve tout d’abord confronté au vide à travers une composition sonore. C’est le son du chaos, de l’intemporel, de l’univers. Mais il y découvre peu à peu les pulsations du soleil, symbole de vie. L’installation composée de bouteilles de verre évoque quant à elle une cascade dont le mouvement vertical exprime l’évolution et la transformation, phénomène énergétique provoqué par un jeu permanent d’équilibre. Enfin l’eau contenue dans les bouteilles est colorée avec des variations de teinte turquoise. Ceci fait référence aux cyanobactéries, organismes primitifs qui sont au commencement du vivant.
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Le chant des vers
Le chant des vers fait le choix d’une observation éco-acoustique des sols afin d’examiner l’impact des différentes perturbations anthropiques : intrants chimiques, déchets industriels, métaux lourds, nuisances sonores, etc. sur la biodiversité de la région des Hauts-de-France.
Ce travail, mené entre avril et novembre 2019, prend la forme d’une collaboration art et science. Bien qu’il s’appuie sur les relevés des laboratoires partenaires et s’inspire d’un protocole de recherche scientifique, il ne recherche pas la démonstration. Il propose plutôt des ponts entre ces discipline afin de susciter des curiosités réciproques, d’inspirer des déviations par rapport à des normes supposées et, peut-être, quelque part, contribuer à faire progresser le cheminement de la pensée.
Les résultats de ces échanges interdisciplinaires donne naissance à une installation immersive de 24 haut-parleurs et vibrateurs disposés sur les paroies d’une spirale de 300 x 300 x 300cm qui renferme cinq troncs d’arbres sculptés. De ces derniers émanent des sons de surface enregistrés depuis l’intérieur du sol. Dans l’espace clos ainsi créé résonnent également cinq compositions sonore imaginées à partir d’enregistrements de terrain et d’enregistrement en chambre anéchoïque. Ces relevés proviennent de différent sites de la région des Hauts-de-France choisis pour leurs différences dans les taux de pollutions chimiques et/ou sonores qu’ils présentent : une ancienne métallurgie, un champ d’agriculture conventionnelle, une prairie adjacente à une autoroute à 6 voies, une prairie abritant une grande diversité biologique et un champ d’agriculture biologique. L’immersion nous plonge alors au coeur d’un vaste monde fascinant et pourtant ignoré bien que directement situé sous nos pieds.
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Polyphonie
Pour concevoir cette œuvre je suis partie de la cosmogonie Guarani, population amérindienne des régions subtropicales et de l’idée selon laquelle le langage est une mise en ordre du monde et forge notre vision de l’univers. En travaillant à partir des livres Yapisaka – Ver con los oidos de Garcia Ortiz Elio, La Symphonie des étoiles de Sylvie Vauclair et L’harmonie des sphères de Dominique Proust, j’ai voulu mettre en relation la musique des planètes telle que théorisée par les acousmaticiens pythagoriens, et la mélodie du langage des Guaranis qui voient dans la parole une manifestation de l’esprit de l’univers. L’installation prend donc la forme d’une série d’anneaux de bois suspendus représentant le sonogramme d’un texte en guarani qui propose une définition du ñee c’est-à-dire du langage. Cette sculpture se trouve au centre d’un espace qu’inonde une composition sonore basée sur l’échelle musicale de Pluton selon le Mysterium Cosmographicum de Joannes Kepler. Les mots en guarani viennent soudainement interrompre cette partition comme pour donner la réplique à une conversation cosmique. Polyphonie cherche donc par un jeu de résonances qui oscillent de la musique au langage, de l’homme au cosmos, à exposer notre interconnexion constante avec le monde, aussi vaste soit-il.
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Par delà le tropique du soleil
Cette installation sonore, vidéo et photographique expose mes recherches et conjectures sur la migration en Bolivie au XIX siècle de mon aïeul italien, Domenico Lorini, combattant ayant fait partie des chemises rouges de Garibaldi, (l’armée qui unifia l’Italie), mais surtout un scientifique qui s’intéressa très tôt aux propriétés curatives des plantes médicinales du « Nouveau Monde » dont la Coca. A partir de celle-ci il parvint à extraire un élixir qui pourrait bien être encore largement consommé aujourd’hui.
L’oeuvre sonore est accompagnée de projections vidéo et de diapositives expérimentales présentant différents documents trouvés pendant mes recherches à Rome, Milan, Gênes et Venise au cours de la résidence Wicar. J’y opte pour la parole et des sons comme une sorte d’oralité, encore très présente dans certaines communautés d’Amérique du sud et que je vois comme une manière très efficace et sensible de se connecter au passé. L’image et le son sont étroitement liés dans ce travail. Alors que les images suscitent la rêverie, la composition sonore cherche à transporter dans l’espace et le temps. De ce fait, l’image, bien qu’en mouvement, bouge finalement très peu alors que la composition sonore circule librement dans tout l’espace qu’occupe l’installation.