Moniq Robert
Moniq Robert est née dans les années 50 en Picardie, dans un village où se sont succédées trois générations, depuis la fondation d’une carrosserie par son père. Après une année aux Beaux-arts de Cambrai, elle rejoint à 16 ans l’entreprise familiale pour y peindre des lettres sur les parois des bétaillères.
Dans les années 70, tout en élevant ses trois enfants et dans le regret de ses études avortées, elle étudie par correspondance. Dans le contexte d’une analyse, elle retrouve la force de s’adonner à la peinture et à la sculpture qu’elle qualifie d’Art brut « sortant par pulsions de manière quasi-naturelle ». Ses travaux subissent l’influence de cette campagne rude où les séquelles de la Grande Guerre et du déclin de l’industrie textile sont encore présentes. Elle s’initie ensuite au pastel avec un ami d’enfance d’Henri Matisse et apprend la technique du moulage à l’école Quentin La Tour à Saint-Quentin.
À Paris en 1989, aux Ateliers de La Villette, sa rencontre avec le peintre expressionniste Henri Ren, dont elle sera l’assistante de 89 à 91, sera décisive quant à son engagement artistique. À sa mort, elle rejoint différents squats parisiens, y vit, y expose, dessine à la Grande Chaumière et suit les cours de Ben Ami Koller. Mais restant dans l’impossibilité d’exprimer oralement sa démarche, handicap qu’elle symbolisera dans l’œuvre de "La langue coupée". Ce mutisme lui fera rater en 95 la formidable opportunité que lui offre la rencontre avec Yvon Lambert, autour du travail des Embaumés. Elle quitte alors Paris, il s’ensuit tout un cheminement initiatique qui la conduira en Limousin, en Aveyron et au sud de la France, où de belles rencontres lui donneront la possibilité de travailler et d’exposer.
En 2008, elle revient au village où elle implante son atelier.
En 2015 et 2017, elle se tourne davantage vers l’installation et la vidéo et reçoit des aides de la DRAC et des Hauts-de-France.
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La Danse
La Danse est une proposition autre par rapport à une citation. Une image qui m’est apparue enfant. En aucun cas je n’ai le pouvoir d’imposer une nécessité, je travaille sur des impressions vécues. J’ai vécu cette Danse à l’âge de 12 ans. Je l’ai vécu dans mon corps à la mesure de ce qui m’était enseigné, à ma mesure d’enfant. Une danse que l’on m’a interdite ; aujourd’hui, une revanche en quelque sorte où j’ai le dernier mot ou peut-être le premier.
Il danse et ils sont plusieurs infiniment…
Au verso les miroirs sont une invitation… -
Les Embaumés
Lettre à l’Embaumé
Ton corps calciné fut ton ultime désir. En ne voulant pas de sépulture, tu as refusé les rendez-vous posthumes de ceux qui t’aiment. Tu ne voulais pas que l’on pleure sur ta pierre. « Pas de larmoiements », je t’entends le dire. C’était pour la première fois mal me connaître, mal savoir que je trouverais des chemins de traverse car j’ai besoin de plus que ta poussière. Mon manque allait au-delà de ta perte, il me fallait approcher ton immobilité…
Moniq Robert
Extrait de La Lettre à l’Embaumé texte 2005
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La Table - L'enfant aux noeuds
« Je suis partie de ce doigt dans le nez, il me semble que ce fut là ma première création et j’ai réfléchi à partir de ça sur les fondements paradoxaux qui sembleraient générer la violence » Sur une photo de soldats de la grande guerre qu’elle reproduit sur organdi, elle coud ses nœuds de soie. Toujours, elle maintient la tension, la déchirure, la fissure entre la violence et la douceur. Entre la mort et la vie, la paix et la guerre. J’ai imaginé une explosion à partir de cet écart » Dans la carrosserie de ses frères, elle photographie la ferraille tordue lors d’accidents et des fleurs récupérées dans les poubelles du cimetière. Elle veut mettre en scène la tension entre le fer et la fleur. Entre la petite fille aux rubans de soie et les soldats enrôlés dans des combats sanglants. Mais insatisfaite par le résultat, à bout d’arguments, de mises en scènes peu convaincantes, une certitude lui vient alors : il s’agit d’une explosion lors d’un repas de fête familial, et c’est bien l’enfant qui a placé la bombe. Elle a allumé un feu sous une table dressée pour le repas. Le feu a consumé l’ensemble. Elle l’a éteint au moment précis où le centre était noir et les côtés encore tout à fait purs. Mais jamais convaincue, elle fait près de cinq cents prises de vues avec deux moyens-formats argentiques. « C’était un long travail d’épuration, j’ai fini par savoir ce que je voulais » L’œuvre mesure 4,40 m sur 1,84 m. Elle a été tirée numériquement (encres pigmentaires sur toile). En haut du bord gauche est apparu, à son insu, un œil qui nous regarde ou qui regarde la déchirure, la blessure, la fissure qui ne guérira jamais, mais qui s’agrandira avec le temps, comme l’écrit Freud dans Le clivage du Moi dans le processus de défense [...] En somme Moniq Robert a fabriqué une table brisée. Comment ne pas penser aux tables de la loi brisées quand Moïse descend du Sinaï ? Extrait d’un texte de Susanne Hommel.
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La Robe
Le visiteur dépose anonymement un secret écrit à la mine de plomb sur un papier de soie qu’il plie et introduit par la fente, dans la boite transparente où repose la robe.
Je m’engage à broder avec un fil de soie blanc chaque secret sur la jupe d’organdi. Le corsage de la robe, moulé sur le corps d’un homme, présente en petits plis, tel un écorché, les différents muscles du torse, augurant de sa force à porter le secret.
À ce jour, La Robe porte plus de 400 secrets. -
Les Tricoteurs
Entre 2001 et 2005, 127 tricoteurs s’assoient devant l’objectif de Moniq Robert qui recueille un millier de photographies.
« L’initiation à la technique du tricot au masculin fut aussi mon initiation à la parole. Le cheminement est long et chaotique entre l’idée obsédante de la langue coupée des années 80 et les hommes assis aujourd’hui sur cette chaise. Nos échanges sont transcris dans un livre-objet ».
En 2008 elle réalise une vidéo relatant l’aventure des 100 premiers tricoteurs. Elle précise qu’ayant dépassé la centaine de tricoteurs, elle comprend que ces hommes ont quelque chose d’essentiel à dire. « Sans le savoir au départ, j’étais dans cette attente et seule mon attitude pouvait provoquer le dire de cette « grande langue rouge »». -
La Langue coupée
Dans ma cuisine, je trouve un jour un poivron rouge séché. Mon mutisme obsédant de ces années me renvoyait à l'idée d'une langue coupée. Ce poivron ressemblait étrangement à l'image que je m'en faisait mise dans un bocal, ceci fit l'affaire.