SALON DE MONTROUGE – INTERVIEW MARIE GLAIZE
Découvrez notre entretien avec Marie Glaize, artiste soutenue par Françoise dans le cadre du Salon de Montrouge 2019.
Propos recueillis le 30 avril 2019 par Mathilde Blouet, association Françoise pour l’œuvre contemporaine
Bonjour Marie. Est-ce que tu peux te présenter, et présenter ta formation et ton travail ?
J’ai étudié aux Beaux-Arts de Montpellier tout de suite après le Bac. J’avais une pratique du dessin que j’ai pas mal poussé. Ensuite, je suis partie aux Beaux-Arts de Paris et je me suis mise à faire des sculptures et des installations, et c’est avec ça que j’ai passé mon diplôme de fin d’études en 2014. Puis j’ai continué ma pratique par moi-même. J’habitais dans une grande maison. On était huit. Il y avait un immense grenier et je bossais dedans.
Avec d’autres artistes ?
Il y avait une autre artiste mais sinon les autres colocataires étaient à Sciences Po. Sortie des Beaux-Arts j’ai eu envie de faire des projets collaboratifs, de travailler avec d’autres personnes et de faire des œuvres qui me permettent de rencontrer du monde. Quand on est jeune artiste, il y a un risque de s’isoler, de ne plus avoir de retours critiques sur son travail. Donc j’ai eu envie de donner un tournant « sociable » à mon travail. Une des premières pièces que j’ai fait en sortant de l’école est une série de coussins sur lesquels j’ai imprimé mon numéro de téléphone. À chaque coussin un chiffre, donc ça faisait une série de dix coussins au format A5, que j’envoyais chiffre après chiffre par la poste, à certaines personnes avec qui je voulais rester en contact. C’était la première fois que je mettais à contribution mon entourage, puisque quand ils recevaient mon numéro de téléphone, je leur proposais de m’envoyer une photo de ce numéro de téléphone installé chez eux. J’ai gardé le même numéro et il me reste encore de ces coussins, je les garde pour de bonnes occasions.
Tu fais intervenir les personnes autour de toi et engage à la fois une pratique plastique et un échange. Est-ce que tu dirais que ça relève de la performance ?
Oui, on peut dire ça au sens large du terme. J’ai une pratique très variée au niveau de la technique, mais ce qui relie mes travaux c’est le lien qu’ils vont créer avec d’autres personnes. Il y a aura toujours une interaction d’une manière ou d’une autre. À ce moment-là, on peut dire que je fais de la performance, mais pas au sens ou je crée une forme de spectacle avec un public.
Tu as quand même un intérêt pour l’objet, que ce soit l’aquarium, le stylo, le coussin. Es-tu attachée à ces objets du quotidien ?
Oui, parce que je défends une vision de l’art horizontale. C’est pour cela que je fais intervenir les gens dans mon travail. Je n’ai pas envie d’adresser un message du haut d’un piédestal à un public. Pour moi, ça va se passer dans un échange réciproque et égal, et donc dans cette volonté d’art démocratique, je m’intéresse aux formes du quotidien. Je n’essaye pas de créer des objets qui pourraient être sacralisés ou qui feraient « chic ». Pour moi, une œuvre réussie, c’est une œuvre qui s’intègre dans nos vies, une œuvre que l’on va apprendre à regarder, à aimer, et qui va peut-être modifier nos façons de faire, nous donner de nouvelles idées.
Comment tu t’intègres dans le marché de l’art ? Le but est-il de vendre tes œuvres ? Auquel cas sous quelle forme ?
Pour le moment mon travail n’est pas rentable, mais je suis ouverte au fait de vendre des œuvres. Le multiple permet de réaliser des ventes plus facilement. Je fais beaucoup d’œuvres en séries, que je vends à des prix modiques pour être diffusées et accessibles.
Il y a quand même les photos sur ton site qui gardent une trace, qui donnent une forme finale à ton travail ?
Oui, ce sont des formes éphémères qui passent de mains en mains, donc c’est important que des images documentent les étapes du travail. Le livre de cuisine que je présente au Salon de Montrouge est une forme de documentation sur des évènements qui se sont déjà produits, puisque j’ai proposé de faire des repas, où les artistes pourraient se rencontrer, cuisiner ensemble. Donc quelque part, il s’était déjà passé une bonne partie de l’œuvre quand le dernier diner s’est fini. Le livre de cuisine répond à la question « comment rendre cette expérience visible et intéressante pour les autres ? ».
Comment te viennent les idées ? Partent-elles d’un constat sur des « manques » de lien social ? Quelles sont tes différentes étapes de travail, de l’idée à l’œuvre finale ?
C’est une rumination, par moment, ça va être beaucoup de lecture, aller au musée, voir des films, se nourrir, se nourrir, se nourrir. Il y a un côté un peu boulimique comme ça, presque flippant parce qu’il n’y a pas toujours quelque chose qui en sort. Et il y a d’autres moments où j’essaye de créer sans me poser de questions, sans projets. Ça passe souvent par le dessin, sans juger le résultat, sans idées à priori. Ça me permet de sortir des formes. Et il y a un moment où tout cela s’assemble. Ce sont souvent des occasions qui assemblent, comme là, le Salon de Montrouge.
Tu participes à beaucoup de salons ou concours pour montrer ton travail ?
C’est le premier salon que je fais, mais oui j’essaie de candidater souvent. Il faut que ça me corresponde, j’essaie de ne pas postuler à tout et n’importe quoi, je garde un œil sur les propositions qui sont faites. Mais je ne vois pas cela comme une fin en soi, ce n’est qu’une partie des possibilités et il y a toute une autre partie des possibilités qui sont à créer nous-mêmes, les artistes. Il ne faut pas attendre qu’on nous tende la main, il faut aussi créer des occasions qui nous ressemblent et nous rassemblent, en générant une énergie collective. Un artiste seul est fragilisé et le collectif crée une force.
Tu visites donc beaucoup d’expos, et tu lis plein de choses, est-ce qu’il y a des artistes qui t’inspirent en particulier ?
J’ai vu une exposition il y a quelques mois qui m’a beaucoup plu, de Lily Van der Stokker au Stedelijk Museum. Elle a une pratique du dessin qui est décomplexée et pleine d’idées. J’adore cette intelligence et cette générosité. Je pourrais aussi parler de Philippe Thomas, qui a créé des œuvres qui sont ensuite attribuées à leur propriétaire, « les ready-mades appartiennent à tout le monde ». C’est une pratique qui m’intéresse parce qu’elle réfléchit au milieu de l’art et à une réciprocité entre l’artiste et son public. Dans un autre genre, je pense aussi à Claire Simon. Récemment, elle a fait un film qui s’appelle « Premières solitudes », en collaboration avec des étudiants d’un collège d’Ivry. Elle leur a demandé de choisir des lieux pour se rencontrer et se parler d’eux. Ces scènes sont écrites mais laissent en même temps place à beaucoup d’aléas car la teneur des conversations n’est pas vraiment fixée à l’avance. Le résultat à mi-chemin entre fiction et documentaire est très réussi. Ses films puisent dans le réel et la parole des autres est sa matière première.
Lily Van der Stokker, Friendly good, Stedelijk Museum
Peux-tu expliquer le principe de ton œuvre présentée au Salon ?
Pour le Salon, j’ai voulu réaliser une œuvre qui regroupe les participants. J’ai eu l’idée d’organiser des diners, où les artistes se rencontreraient pour cuisiner ensemble. Première étape : je leur ai proposé de m’envoyer par mail leur recette de cuisine préférée. C’était juste une proposition, à prendre ou à laisser. Ensuite j’ai organisé 5 diners, qui ont eu lieu à chaque fois dans des endroits différents, à Paris, en banlieue Sud, Nord et Est et un à Lyon. J’ai pris des photos pendant ces diners, et je les ai assemblées avec les recettes pour en faire un livre de cuisine. J’ai voulu réaliser quelque chose qui ressemble vraiment à un livre de cuisine, avec un contenu qu’on puisse mettre en application. Ce livre produit en 50 exemplaires, numérotés et signés, est présenté au Salon au sein d’un stand où l’on peut s’arrêter pour le feuilleter.
Beaucoup d’artistes t’ont répondu ? L’ambiance était au rendez-vous ?
27 artistes m’ont répondu. C’est une réussite car c’est quand même plus de la moitié. Les invités m’ont fait des supers retours et personnellement j’ai vécu des moments très agréables, et amusants car tous différents. Ça m’intéresse vraiment la question de l’alchimie d’un groupe ; qu’est-ce qui va faire qu’à un moment une énergie va prendre. C’était de ce point de vue une expérience très intéressante.
Tu as intégré les mails des participants au livre, pourquoi ?
Le rendu final était aussi important que l’expérience vécue auparavant, intégrer les mails pouvait donner une idée plus précise de ce qu’il s’était passé. Et puis les livres de recettes racontent souvent des histoires, moi je voulais raconter une histoire du Salon.
Hormis l’aspect lien social, qui est vraiment le fil rouge de ta pratique, en quoi cette œuvre s’intègre et se différencie de ton travail habituel ?
Elle s’intègre dans mon travail habituel car elle est manipulable et utilisable. Mais ce qui est nouveau pour moi, c’est de faire un livre. J’ai travaillé avec un graphiste et un imprimeur. C’était un nouveau challenge avec une importante somme d’argent en jeu.
Si tu devais donner 3 adjectifs pour définir cette œuvre réalisée pour le Salon de Montrouge ?
Alors là j’ai besoin de réfléchir (rires) !
Le premier est un peu attendu, c’est « collectif », parce qu’un salon c’est aussi un moment de compétition et j’avais envie d’y répondre en créant des rencontres. Après je dirais « généreux », car j’ai proposé une expérience aux artistes, à laquelle ils ont pu participer. Et sur le stand, on peut s’assoir et y passer du temps, c’est coloré, et j’espère agréable à regarder. Et enfin je dirais « parallèle » car ma proposition est comme un miroir tourné vers le Salon.
Si on veut acquérir ton œuvre, on achète le livre ?
Oui, on peut le demander à l’accueil, ou me contacter. J’ai laissé mon contact dans le livre. Il est en vente à 50€, et au prix coutant pour les artistes qui ont participé au projet.
Tu envisages de le rééditer un jour ?
Non car il est vraiment pensé pour un moment particulier, ça ne correspondrait pas au principe du livre.
Tu parlais du côté concurrentiel des Salons, comment as-tu ressenti ce Salon là?
Il y a un côté concurrentiel quand on candidate, et ensuite les prix opèrent une deuxième sélection. Donc en postulant au Salon de Montrouge, je sais à quoi m’en tenir, c’est à prendre comme tel. Mais je trouve surtout qu’il y a une bonne ambiance et j’ai fais de supers belles rencontres !
En termes de visibilité, le Salon t’a apporté ce que tu espérais aussi ?
On est aux portes de Paris, au pied du métro et c’est ouvert tous les jours gratuitement, ça permet d’inviter facilement les gens à venir voir. Ça donne aussi la possibilité de rencontrer de nouvelles personnes qui découvrent notre travail. Pour le moment, j’ai fais quelques rencontres et peut-être qu’il y en aura d’autres à l’avenir.
Et par rapport aux publics, tu as des réactions intéressantes ? Est-ce que les gens s’arrêtent sur ton stand ou passent sans s’apercevoir qu’il y a une œuvre ?
Ça dépend ! Il y en a qui passent sans voir et d’autres qui s’installent et qui restent un moment. Souvent les gens trouvent ça drôle. On m’a aussi dit « subtile », « couillu » et « décalé ». Pour les retours plus critiques, on m’a dit que ça se fondait trop dans la communication visuelle du Salon et que c’était un peu camouflé, mais justement ce côté infiltration m’intéresse. C’est comme avec le projet 888 – voir article Portrait #1 – ou je me suis infiltrée dans un restaurant chinois.
C’était voulu de reprendre un peu la charte graphique du Salon ?
J’ai utilisé une esthétique de stand qui incite à lire le livre et j’ai repris une typo très utilisée en ce moment, très lisible. Il y avait donc de fortes chances pour que ça colle avec l’esthétique du Salon.
Tu fais partie des quatre artistes soutenus par Françoise pour l’œuvre contemporaine, est-ce que tu penses qu’il y a besoin de ce type d’accompagnements ? Qu’est-ce qu’il manque le plus aux artistes aujourd’hui pour travailler ?
J’aimerais vous remercier à nouveau, car ça nous apporte à la fois une bourse, mais aussi une visibilité, donc c’est vraiment intéressant et ça peut donner suite à des projets dans le futur. D’après moi, le principale obstacle pour exercer sa pratique artistique est financier. Les dispositifs d’aides sont importants, mais au-delà de l’aide il faut repenser un système dans lequel les artistes puissent exercer leur pratique artistique en étant moins précaires. Les droits des artistes ne sont pas assez soutenus en France. Les artistes devraient être rémunérés quand ils exposent, et il devrait y avoir comme pour les intermittents du spectacle un service RSA avec du personnel formé pour les recevoir. Personnellement, l’enseignement me parait être une bonne façon de s’insérer sur le marché du travail sans nuire à ma pratique artistique.
Tu aimes bien animer des ateliers, notamment avec le jeune public. C’est récent comme attrait ? Que fais-tu avec eux ?
Je fais ça depuis longtemps, j’ai gardé beaucoup d’enfants à qui j’ai toujours proposé des activités créatives. J’ai aussi organisé des ateliers avec des adolescents, comme à la Villa Belleville avec le foyer Babelville. Je leur ai fait faire des cartes porte-bonheur, c’était l’occasion de faire du collage et de créer des images. J’ai aussi fait entre autre un workshop en Chine en collaboration avec Louis Clais pendant 5 jours avec des étudiants en 2ème et 3ème année des Beaux-Arts, beaucoup plus immersif, sur 4 jours. On leur a proposé de créer par petits groupes des objets utiles aux futurs résidents des lieux.
Et pour le Salon ?
Pour le Salon de Montrouge, j’anime deux ateliers dans lesquels je propose aux enfants de faire un livre de cuisine. Je leur ai présenté le mien, et je leur ai montré « Les irrésistibles recettes de Roald Dahl » qui est très amusant. Ils ont ensuite rédigé des recettes qu’ils ont illustrés à partir de magazines dans lesquels ils ont pioché. Le résultat a été photocopié autant de fois qu’il y avait de participants et les enfants sont repartis avec un livre de cuisine chacun. Ils ont très bien réagis, ils étaient très motivés, très coopérants. La nourriture, c’est un sujet qu’on comprend tout de suite !
Les irrésistibles Recettes de Roald Dahl (Revolting Recipes), Folio bilingue, illustré par Quentin Blake, 2009
Pour finir, quels sont tes projets à venir ?
Je travaille en collaboration avec Louis Clais et Licia Demuro sur une machine qui permet de dessiner et d’échanger ses dessins !