Pauline Le Pichon
Diplômée de l’École Supérieure d’Art et de Design de Valenciennes, Pauline Le Pichon est artiste depuis 2014.
Dans son travail, elle a choisi de jouer avec les codes du médium photographique en multipliant les ambiguïtés. L’artiste pose de nombreuses questions au spectateur afin qu’il puisse s’approprier chaque image.
Ses différentes séries ont été exposées dans de nombreux évènements et lieux artistiques nationaux et internationaux tels que la Biennale d’Issy-les-Moulineaux, le salon d’art contemporain Hybrid’art, le CICA Museum ou encore le Rugby Art Gallery and Museum.
-
Dialogues & Interstices #1
« Dialogues & Interstices » est un projet photographique qui questionne les limites très fines entre photographie et cinéma, et surtout entre vérité et fiction.
Il s’agit d’abord de prendre en photo mes proches et connaissances dans des environnements qui leurs sont familiers, puis, lors du traitement des images, ajouter des sous-titres que j’écris moi-même en fonction des photographies que je viens de produire. « Par ce processus, les modèles deviennent des acteurs à qui j’attribue des paroles, des pensées et ils perdent tout contrôle sur leurs identités. Ce travail fait aussi référence au livre d’Erving Goffman « La mise en scène de la vie quotidienne » dans lequel il écrit que lorsque nous sommes face aux autres, nous nous comportons comme des acteurs. En effet, ce projet peut renforcer l’idée que la vie réelle n’est qu’un acte, et qu’elle peut souvent reposer sur des mensonges et des manipulations. »
Le titre « Dialogues & Interstices » revêt plusieurs sens : il y a évidemment les dialogues de film, mais aussi les dialogues qui peuvent exister entre les photographies et qui, dans le cas contraire, sont des interstices. Les dialogues peuvent aussi créer des liens entre les personnes photographiées, des liens qui n’existent pas forcé- ment dans la vraie vie. Au travers de ce travail, j’emmène le spectateur face à un support visuel et textuel et c’est à lui de décider si ces images sont des bribes de vie formant un tout ou si, au contraire, une image équivaut à une seule histoire.
-
Face à Face / Bill
Ce travail a été réalisé durant une résidence d’artiste dans le cadre du festival Diep-Haven 2016. Pour répondre à la thématique du portrait, j’ai eu l’opportunité de photographier les personnes qui font l’essence même de l’opéra de Glyndebourne mais que l’on ne voit jamais sur le devant de la scène, ainsi que des participants aux activités du centre communautaire de Newhaven (Angleterre).
Parallèlement à cela, la poétesse Di Sherlock a écrit des poèmes inspirés de la vie des personnes photographiées.
Travaillant simultanément, nous avons cependant choisi d’attendre la fin de la résidence pour découvrir ce que l’autre avait réalisé. Cette façon de faire nous a évités de nous influencer et nous a surtout permis de créer des contrastes marqués entre les représentations photographiques et écrites. -
Nuits Blanches #2
Il fait nuit.
Je me glisse sous la couette en espérant m'endormir rapidement.
Je suis fatiguée mais quelque chose m'empêche de tomber dans les bras de morphée.
Les mains moites et la chaleur qui augmente, je me tourne et me retourne sans cesse.
Je sais que trop bien ce qui m'arrive : je me suis mise à inventer des scénarios à partir du moindre détail de mon existence.
Des projections rarement rationnelles, frisant plutôt l'improbable.
Des histoires parfois heureuses mais plus souvent angoissantes, étouffantes.
Il fait nuit et j'ai involontairement appuyé sur le bouton "et si…"
Rongée par cette voix dans ma tête, je vais encore m'endormir difficilement ou pas du tout."Nuits blanches" s'inspire de ces scénarios et de cet instant T où je commence à "me faire des films".
Une rencontre, un lieu, un sms…n'importe quel élément de ma vie quotidienne suffit à déclencher mon imaginaire.
Les rideaux s'ouvrent. Mon cerveau devient un cinéma dans lequel je suis sans le vouloir et mes yeux, bien qu'ouverts sur le monde extérieur, ne voient que des films faux inspirés de faits réels. Je perds toute lucidité et je lutte contre moi-même en essayant de ne pas y croire.Au travers de ce travail, s'exprime aussi la dualité entre l'artiste, la personne obsédée par la création d'histoires dans son travail durant la journée et l'autre, celle qui est parfois dévorée par des narrations - à la limite de la paranoïa - le soir venu. Le lien se crée entre les deux.
Le projet est thérapeutique lorsque les pensées nourrissent le travail de l'artiste et amènent celle-ci à un apaisement. Mais elles peuvent, de ce fait, devenir nécessaires, vitales à sa production.
Mon cerveau est une banque d'images, une matière à exploiter, un support à creuser. En passant de mon espace privé à l'espace public, les projections dont je suis à la fois réalisatrice et seule spectatrice deviennent des images fixes livrées au public.
Autoportraits, portraits, natures mortes.
Tout est semblable à ce que j'imagine.L'utilisation du triptyque établit une progression. Celle du songe qui né d'un rien et qui s'étend au point de livrer toute une séquence. Comme mes pensées nocturnes, les triptyques atteignent un certain climax et laissent finalement la personne spectatrice anxieuse, perplexe voire naïve.
-
Asymétrie #11
Lorsque j’ai débuté la photographie à la fin des années 2000, je suis rapidement devenue adepte des autoportraits. D’une part, parce que je n’osais pas encore diriger mon appareil vers d’autres personnes et d'autre part, parce que je m’avais constamment sous la main et je pouvais, dès lors, me manipuler à volonté.
En explorant la question des apparences, j’ai élaboré plusieurs séries constituées d’autoportraits. Et comme dans les selfies, je me suis rendu compte au fil du temps, que le regard mécanique de l’appareil pointé vers moi avait le pouvoir de me transformer.
Dès que je mettais le retardateur en marche et que je passais devant l’objectif, je me dédoublais et me créais une nouvelle identité. Telle une actrice, je me mettais automatiquement dans la peau d’un personnage et m’éloignais progressivement de la représentation fidèle de la réalité.
Étrangement d’ailleurs, puisque je réalisais rarement mes autoportraits en présence d’autres personnes, comme si ce changement était beaucoup trop intime, trop personnel.
Avec peu d’ingrédients, « Asymétrie » représente cette transition où je quitte le réel pour parvenir au semblant.
--
Avec ce travail, je montre comment j'ai été trompée par mon appareil photo, et en même temps je montre comment je peux, moi-même, tromper les spectateurs. S'ils voient mes images sans lire ma note d'intention, ils peuvent croire que ces images ne sont que des backstages de séances photos avec ma sœur jumelle.
Mais ce n'est pas réel. Ces photos sont des photos mises en scène, qui sont, ensuite, truquées sur un logiciel.
Je n'ai pas de sœur jumelle.
Alors, dans un monde envahi d'images et souvent de fake news, j'encourage le spectateur à prendre du recul et à vérifier les informations données avant de les croire.