Julie Le Toquin
Julie Le Toquin est une artiste diplômée avec mention de l'EESAB site de Lorient en 2015. Ensuite elle a continuée son parcours par une Licence de Théâtre à Paris, ainsi qu'une formation de comédienne à l'école Auvray Nauroy.
"Elle mélange différents médiums et disciplines : photographie, théâtre, chant, danse, installations, écriture, vidéo, création textile. Les thèmes de prédilection de Julie Le Toquin concernent tout ce qui a trait au souvenir, à la transmission, à la mémoire collective et individuelle. Dans une époque où la mémoire est si volatile, un évènement en chassant un autre, son travail est plein de sens et nous incite à nous souvenir, à ne pas oublier, à s’inspirer et à comprendre notre passé pour comprendre notre présent.
Récolter, semer, dire, écouter, partager, questionner. Les oeuvres de Julie Le Toquin relèvent autant du domaine de la conservation que de la communication. Quand elle parle d’elle, elle parle de nous. Sa démarche est semblable à celle de Marcel Proust mais rejoint aussi de celle de Montaigne : parler de soi pour parler des autres, parler de soi pour parler aux autres, trouver l’universalité dans chacun. Un projet résolument humaniste : remettre l’humain au centre.
Cet archivage au pluriel dépasse de loin sa propre histoire personnelle.
Autre originalité de cette artiste : elle est à cheval, comme elle le dit elle-même, entre les Arts Plastiques et les Arts du spectacle même si ce qu’elle préfère c’est quand même la performance"
Texte de Nathalie Morgado
"Julie Le Toquin est une archiviste de mémoire personnelle ambulante de mémoires personnelles. Cette nécessité d’inventer des modes de conservation et de transmission de souvenir s’est faite urgente à l’adolescence, lorsque l’artiste orpheline de père et de mère réalisa qu’elle était la seule dépositaire de son histoire familiale. Dès lors, elle met en place des systèmes d’auto-archivage avant d’entamer une vaste entreprise itinérante de partage de mémoire. Cette quête du souvenir est restituée au cours de performances qui associent déclamation, théâtre ou musique" Texte de Julie Portier
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Robe écriture #2
J’ai recopié mes journaux intimes sur du
tissu pour m’en faire une robe. De loin le
spectateur devine un motif sur le tissu. Il
doit s’en approcher pour pouvoir distinguer
l’écriture et pouvoir la lire. Plus il passe de
temps à lire, plus il peut découvrir mon
histoire : le regardeur est placé en position
de voyeur.© Gildas Lepetit-Castel
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Combien de temps êtes vous prêts à passer avec moi pour me découvrir ?
Etant orpheline de père et de mère, j’ai développé
depuis mes 9 ans, différents protocoles d’auto archivage
afin de conserver ma mémoire. L’écriture
a joué un rôle important dans ce processus.
Depuis mes 10 ans, je tiens un journal intime. Il
est devenu la base de différentes productions.
en 2016 j’ai recopié mes journaux intimes sur
un rouleau de papier de 10m x 1,5m. Ce rouleau
comporte l’équivalent d’un journal et demi
d’écriture, allant de mon CM2 à ma classe de 1ère
au lycée, nécessitant 70h d’écriture. Le spectateur
est confronté à son désir de voyeurisme : il a
envie de lire. Paradoxalement il y a trop de texte
pour qu’il puisse tout lire, d’où le titre de l’oeuvre
Combien de temps êtes-vous prêt à passer avec
moi pour me découvrir ? Ce rouleau d’écriture
permet de voir l’évolution d’une pensée, celle d’une
enfant, progressant vers l’âge adulte, traversant les
étapes de la vie.
Je veux réécrire l’intégralité de mes journaux
intimes sur des rouleaux de papier, sachant que je
continue encore aujourd’hui à tenir des journaux.
C’est donc un travail sans fin. -
Confidence pour confidence
"Depuis 2014, c’est en parcourant les écoles d’art, les
centres d’art, les musées, en Bretagne, en France, et
ailleurs en Europe, que Julie Le Toquin propose à
des amis, des inconnus, des artistes, un échange de
confidences. L’oeuvre conceptuelle se concrétise par la
signature d’un contrat dûment cacheté attestant qu’une
transmission orale a eu lieu. L’acte invisible participe à
une réflexion sur la valeur d’un patrimoine immatériel.
Les confidences partagées sont ensuite colportées
et “jouées” au cours des performances Rendu de
confidences”.
Texte de Julie PortierJe propose à toute sorte de personnes d’échanger une
confidence avec moi, devenant ainsi garant de ma
mémoire. Ils possèdent le récit d’un de mes souvenirs
qu’ils doivent conserver. Le projet se poursuit encore
aujourd’hui et compte pour le moment plus de 300
participants. Le participant me confit également un
souvenir, une confidence, un objet, un songe, etc. Je suis
donc également garant de sa mémoire. nous signons
un contrat de confidence, attestant ainsi de l’échange.Ce projet donne lieu à une performance, dans laquelle je réactive les confidences
des individus ayant participé au projet. Pendant 1h/1h30 je restitue par
fragments des histoires, à la première personne, donnant à voir et à entendre un
récit aussi abracadabrant que varié, témoignant de ces moments de partages.
en parallèle de cela, à la date anniversaire du début du projet, j’ai recontacté
les participants pour leur demander ce qu’il restait de ma confidence un an
après. La majorité des personnes avaient oublié la confidence, partiellement ou
complètement modifiée. Ces fragments ont donné lieu à une édition Biographie
par le regard de l’autre effacé. Après notre mort, il nous est impossible de
contrôler ce que les autres disent ou pensent de nous. C’est donc eux qui
composent notre histoire, avec les déformations que cela peut engendrer. -
Inventaire de mes oublis
J’ai fais la liste de mes oublis, évoquant des choses
simples, anodines, très intimes ou encore faisant appel
à la mémoire collective. Véritable inventaire à la Perec,
l’oubli est terrifiant mais il est nécessaire, voir vital.
Dans cette captation vidéo de performance, je parle
devant un enregistreur, branché à un petit haut parleur,
faisant cette liste. Dans un deuxième temps, j’écoute
l’enregistrement, en chuchotant par-dessus, comme
pour mémoriser les choses que j’ai oubliées."Je ne me souviens plus du jour de mes 16 ans.
Je ne me souviens plus d’une seule blague carambar.
Je ne me souviens plus de la dernière fois
que j’ai souris à mon père.
Je ne me souviens plus de la dernière fois
que j’ai souris à ma mère.
Je ne me souviens plus de mon premier jour d’école.
Je ne me souviens plus de la pub de Dop avant
ne pique pas les yeux, évite les nœuds”
Je ne me souviens plus du jour
où j’ai arrêté de confondre un chocolat liégeois
et un chocolat viennois" -
La complainte des désirs
est intéressant de se pencher sur la question du désir dans une société capitaliste. Mes désirs
m’appartiennent-ils vraiment, ou sont-ils le résultat de diverses manipulations dictées par notre
société ? Notre société capitaliste nous impose une standardisation du désir : travail, famille,
enfants, bon cadre de vie, rejetant toutes autres formes, allant même jusqu’à nier leur existence,
comme le dit Margaret Tatcher dans sa fameuse phrase « There Is No Alternative », appelée
couramment TINA. Nos désirs standardisés nous mènent à une série de contradictions : « Je veux
travailler pour avoir de l’argent, pour être heureux, au lieu de vouloir tout de suite être heureux », «
Je veux que les choses changent, mais je suis conservateur », « Je veux un monde égalitaire et juste,
et je vote FN », etc.
Dans cette performance je dresse une liste de désirs contradictoires, souvent stéréotypés, à la
manière des exemples cités au dessus. Cet inventaire prend la forme d’un chant. En effet ces désirs
nous sont répétés dès le plus jeune âge, presque comme quelque chose à apprendre par coeur et
finissant par rentrer à force de l’entendre. Le chant est composé de cette liste et d’éléments répétitifs,
tels que des réflexions sur la source de ces désirs ou encore le TINA. Par la source de ces désirs,
j’entends : viennent-ils de nous même, d’une pression sociale ou familiale ? Le chant devient de plus
en plus pénible, tendant à l’aliénation. -
Je t'aime
Jeu sur le langage et les codes d’énonciation.
en quoi l’intonation que nous donnons à nos
phrases change leurs sens ? Comment le plus
beau poème d’amour peut-il se transformer
en quelque chose de faux ? Les voix artificielles
nous entourent malgré nous, se multipliant,
allant de la boite vocale de messagerie, aux
annonces dans les transports en communs,
en passant par les répondeurs de grandes
entreprises, sur lesquels nous passons des
heures pour une simple facture d’électricité.
elles apparaissent comme étant tout à fait
normales dans notre paysage quotidien. nous
les oublions, ou plutôt nous oublions leur
étrangeté. elles remplacent les voix humaines,
injectant du factice dans notre rapport au
monde. nous les absorbons sans nous nous
interroger sur leur contenu.
Dans cette performance, je tente à mon tour
de les imiter. Que devient cette parole rejouée,
elle-même inspirée de la parole humaine.
est-il possible d’avoir un corps parfaitement
détendu en déclamant un poème d’amour,
d’une grande sensualité à la manière d’un
agent SNCF? ou le corps est-il obligé d’imiter
la machine pour pouvoir arriver à cette diction
artificielle ? Quel rapport au corps cela créé-t-il
? et quel rapport cela créé t-il dans les rapports
humains ?