Romuald Jandolo
Né en 1988 à Lille, Romuald Jandolo vit et travaille entre Caen et Paris. Il est diplômé de l’Ecole Supérieur d'Arts et Médias de Caen en 2011.
" Dans une tradition de la performance issue de la mise en tension du corps, le travail de Romuald Jandolo s’enracine dans un univers théâtralisé où se mêlent baroque et burlesque, sacré et profane. Des réminiscences circassiennes parsèment son œuvre (un univers qu’il connaît bien pour y avoir fait ses premières armes, enfant, en tant que contorsionniste) tant dans ses installations qui entretiennent une parenté avec la scénographie que dans ses auto-filmages où il met en scène la figure du clown. Le grimage, la contorsion ou la claustration sont associés à cette mise en tension du corps et à son incidence psychologique, sociale, sexuelle et politique.
Dans la vidéo Baptême (2012), l’artiste se soumet à un étrange rite d’eau. Après s’être grimé le visage, comme le laisse supposer le tube de rouge à lèvres laissé sur le rebord de la baignoire, il se filme en plan fixe, de profil, dans un bain de mousse. Comme en transe, il soumet son corps à diverses figures de contorsion dans lesquelles la menace semble imminente. Défiant la gravité tel un acrobate, dans une baignoire carrelée remplie d’eau savonneuse, la chute serait fatale. Ce rite de passage apparaît alors comme une tentative cathartique. C’est cette même tension que l’on perçoit dans Equilibre (2012). Dans l’angle d’une pièce, la tête à l’envers, les yeux maquillés comme ceux d’un clown n’ayant pour seul vêtement que son couvre-chef, il tient en équilibre sur une seule main, l’autre étant occupée à fumer. Une prise électrique à proximité renforce le danger palpable. Cette vidéo rappelle notamment Bouncing in the Corner, No2 : Upside-Down (1969) de Bruce Nauman chez qui la figure du clown est récurrente tout comme le grimage à caractère sexuel et politique (Art Make-Up 1967, Black Balls 1969), la contorsion (Walk with Contrapposto, 1968) et la claustration (Green Light Corridor, 1970). Dans Equilibre, ce n’est plus la caméra qui est basculée mais le corps de l’artiste lui-même.
L’hybridation est également récurrente dans les œuvres de Romuald Jandolo. Magma (2012) évoque à son tour Feet of Clay (1967) de Bruce Nauman et prend des atours monstrueux. Le jeune artiste manipule de l’argile et recompose autant de masques sur son propre visage ainsi déformé. La rapidité d’exécution des différents tableaux (le rythme est légèrement accéléré) et la multiplication des portraits font basculer la situation dans le grotesque, ainsi de cette tête de mort couverte d’un voile que l’on dirait sortie d’une toile de James Ensor. Un autoportrait du peintre belge, une gravure intitulée Mon portrait squelettisé (1889), s’inspire d’une photographie de l’artiste prise devant la maison de famille. Le visage de l’artiste est remplacé par un crane tandis que ses vêtements comme sa posture rappellent ceux de la prise de vues initiale. Dans une toile de la même année intitulée Ensor aux masques (1899), le visage du peintre flamboyant, tourné vers le spectateur, trône au centre de l’image tandis qu’il est entouré d’une foule de masques et de squelettes. Désormais, dans un geste sculptural et performatif, Romuald Jandolo transforme son propre visage en vanité. "
Claustrophobia, 2016, Audrey Illouz
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L'or brûle aussi
Durant une année de résidence en Espagne, à la Casa de Velazquez, RDJ s'est intéressé aux différents objets qui jonchent les lieux de cultes. Il s’est attardé au multiculturalisme du sud de l’Espagne, arabo-musulmane–catholique, et a en étudié la représentation des corps, la notion de sacré, analysé la symbolique en s’appropriant la superstition qui en découle.
Cette sculpture est faite de tasseaux de bois, puis comme beaucoup de reliques, il l'a recouverte de feuilles d'or pour ensuite brûler l'intérieur.
L'or brûle aussi (2016) est un ensemble de sculptures reliquaires qui reprend des formes d'objets sacrés avec des matériaux dit de pauvres. Il s'agit d'un questionnement sur l'objet et la valeur symbolique, social et monétaire que l'on peut lui donner. -
Cherchez le cristal, pas le Bronze
L’installation Cherchez le Cristal, pas le Bronze (2016) joue à son tour sur une mise à l’épreuve du corps et emprunte son vocabulaire à la salle de sport pour le détourner : haltères, bâtons de twirling, cordes à sauter et autres punchingballs font partie de la panoplie. À ceci près que les haltères se retrouvent flanqués de poids-prothèses rappelant des organes dont la légèreté rend l’effort caduc. Ces formes prothétiques évoquent des corps démembrés, des membres gangrénés. Une photographie réalisée en collaboration avec Anna Katharina Scheidegger reprend l’iconographie d’une Madone (nue sous un voile noir). À l’instar du regard de défiance qu’affiche ce nu sacrilège à la chair débordante, c’est bien une défiance envers les conventions qu’affiche l’œuvre de Romuald Dumas-Jandolo où point le danger.
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Dans les flammes
Dans les flammes (2013) est une installation inspirée de la vie des gens du voyages. Anciennement, la tradition voulait qu'après les funérailles, la caravane du défunt soit brûlée, Il s'agissait probablement d'une survivance de la crainte des épidémies, née au moyen âge. Cette tradition, aujourd'hui abandonnée, préservait l'âme du défunt " le mulo", un esprit gênant, tourmentant les vivants. Le mulo est à la fois la mort et l'esprit de la mort qui rode autour du campement et se venge si l'on ne rend pas un culte vivace à sa mémoire. Les Tsiganes sont supersticieux et plus sensibles à l'"univers de la magie' qu'au rationnel des gadgé.
L'artiste revisite cette tradition en amochant, renversant la caravane, en cassant le plancher, il laisse découvrir au spectateur une fresque en paillette débordant sur le sol du lieu d'exposition. -
La crypte
Lors de sa première expositions personnelle La Douce Précieuse Inifinimi (2012), RDJ pointait déjà un sentiment d’aliénation, d’angoisse et d’oppression. Dans l’une des salles de l’exposition (la Crypte) aux murs tapissés de couvertures de survie et au sol recouvert de copeaux de bois isolant l’atmosphère s’entremêlaient barre de pole dance, fauve de pacotille et auto-filmage présentant un maître barnum réinterprétant librement une danse serpentine. Le cirque s’apparentait à des jeux d’enfants terrorisants comme à des jeux dangereux entre exhibition et voyeurisme où le kitsch permettait d’atténuer la pression.
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Bouillé Dino : Oh mon Dieu
Bouillé Dino : Oh mon Dieu (2011), est une installation scénographique dans laquelle l'artiste joue sur trois espaces. L'espace aérien, propre au cirque, est occupé par une robe de mariée, avec une traîne de cinq mètres. Au sol on retrouve un décors de théâtre dans lequel l'artiste a fait une performance, puis ensuite il a invité les spectateurs à y pénétrer. Après l'action de l'artiste, l'espace scénique se transforme en espace d'exposition avec des céramiques, des vidéos, un papier peint sérigraphié, des dessins, une photographie, un espace domestique mit sous projecteur.
Le spectateur est invité à rentrer dans un espace intime, mentale, proche du rêve et du fantasme. -
Que reste t'il?
Des premiers travaux réalisés au début des années 2010 jusqu’aux œuvres récentes, Romuald Jandolo déploie un univers de contrastes et d’ambivalences qu’il affirme peu à peu comme une méthode : ténébreux et flamboyant, grotesque et héroïque, grave et léger, il offre tous ces visages à la fois. C’est cette même énergie métamorphe qu’il distille dans ses installations, ses dessins, ses films, sculptures en céramique, en bois brûlé ou en bronze, dont l’ensemble hétérogène construit peu à peu la scène hallucinée.
C’est bien de la scène que vient Romuald Jandolo, né dans le cirque familial qui l’a vu grandir, et qu’il quitte subitement pour une vie plus sédentaire et conventionnelle. Hanté par cette généalogie amputée et fragmentaire, dans laquelle certains personnages agissent tels des membres fantômes, Romuald Jandolo pétrit sa biographie et remodèle les identités par tous les moyens possibles : visages malaxés, grimés, grimaçants, masques, monstres, costumes… L’inquiétude qui pointe dans certaines de ses œuvres est subvertie par une sorte de tragi-comique grinçant, dans lequel le rire est la face cachée de l’inconfort ou du désir, c’est selon.
Nombres d’objets et d’installations évoquent des corps traversés par la contrainte et la souffrance, mais aussi par une possible extase. Romuald Jandolo s’inspire autant des codes du dogmatisme religieux que du paganisme le plus déviant. N’hésitant pas à transgresser les normes du genre, du bon gout et de la bienséance, il affirme ainsi une liberté artistique totale.
Dans le cadre de sa résidence à Lindre-Basse, Romuald Jandolo exhume des souvenirs passés et tente de reconstruire une généalogie en lambeaux. A partir d’une cassette VHS qui documente l’intégralité d’un spectacle du cirque familial, l’artiste construit un récit en voix off, qui lui permet de se ressaisir d’images d’archive à l’esthétique désuète, dans lesquelles la bonhomie des numéros laisse transparaître une infinie tristesse et parfois même l’effroi du ridicule et de l’exploitation des corps, humains et animaux confondus.
En regard de ce document mi réaliste – mi fictionnel, Romuald Jandolo présente de nouvelles œuvres en bois, tissu, broderie ou peaux, ainsi qu’une série d’ex-voto en verre, censés offrir à la bienveillance divine la rédemption de tous les maux.Marie Cozette