Maïmouna Silla
Maïmouna Silla est une artiste française pluridisciplinaire d’origine Sénégalaise, née dans l’est de la France en 1997. Après une classe préparatoire publique à l’EMBA de Gennevilliers, elle obtient son DNA à l’ENSAD de Nancy en 2019, puis est félicitée pour son DNSEP aux Beaux-arts de Nantes en 2021. Dans sa pratique, elle matérialise des images et des formes dans le but de susciter des questionnements, des discussions et un débat. Elle entend "dénoncer l’horreur sans toutefois participer à la saturation d’images violentes". Consciente que cette démarche peut provoquer de la gêne, le malaise et d’autres sentiments qui peuvent être inconfortables, elle attache néanmoins une grande importance à s’écarter du rôle des médias de masse et préfère inspirer des images mentales. C’est principalement par le biais de la sculpture, de la vidéo ou encore du texte qu’elle navigue entre le passé et le présent pour se réapproprier diverses histoires et leur donner vie dans notre contemporanéité. Elle arbore des thématiques telles que l’histoire, la politique, la transmission, la spiritualité, la religion ou encore le rapport à la mémoire. Son processus créatif débute par des recherches minutieuses, l’exploration d’archives matérielles, mais aussi l’écoute de récits vivants qu’elle récolte au cours de ses investigations.
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HUTU POWER
Installation/sérigraphie - 2021
Six sérigraphies 72 x 52 cm
Pupitre en métal 38 x 40 x 120 cm
Feuille de calque et encre noire 21 x 29 cm
Pièces uniquesAvant la colonisation occidentale, le peuple rwandais formait une seule ethnie, avec une seule langue, une seule culture et un seul territoire. L’arrivée des Allemands, des Belges ou encore des Français marqua le début d’une hiérarchisation sociale, raciale, économique et géographique s’appuyant sur des distinctions physiques. Les Hutu avaient été désignés comme plus grands, plus clairs de peau et plus riches tandis que les Tutsi avaient le nez plus empâté, ils étaient plus petits et pauvres. Le génocide rwandais est le résultat d’un conditionnement haineux entre les populations depuis des décennies qui atteignit un point de non-retour. Le 6 avril 1994, alors que l’on annonce à la radio l’assassinat du président rwandais, Juvénal Habyarimana à l’aéroport de Kigali, le pays s’apprête à subir l’évènement le plus meurtrier de son histoire. Le rôle des médias fut déterminant dans le déroulé des événements. De jour comme de nuit, les animateurs de la Radio des Milles Collines (RTLM) ont encouragé au meurtre de masse de près d’un million de Tutsi en l’espace de trois mois. Dans la joie et en musique, on diffusait les noms, les adresses et les cachettes des Tutsi orchestrant ainsi une véritable chasse à l’homme à travers le pays. Les femmes, les enfants, les personnes âgés, les plus démunis... Personne ne devait être épargné. La RTLM banalisa le meurtre sous couvert d’humour et en utilisant un langage particulier. On assimila les Tutsi à des insectes nuisibles qu’il faut éradiquer. Plus que la déshumanisation, on procédera à l’animalisation globale d’une partie de la population, ce qui mena directement à cette chasse au « gibier ».
Par le biais de la sérigraphie, j’ai décidé d’inscrire six retranscriptions audio de la RTLM pour les mettre confrontation directe avec le pupitre. Cet objet métallique fait référence à une prise de parole sérieuse, il a une connotation cérémonieuse voire ici politique. Quand on se met face à un pupitre, vous captez l’attention et l’on attend de vous que vous preniez preniez position. Dessus, est disposée une feuille de calque sur laquelle est inscrite le discours de l’ancien Premier ministre Belge, Guy Verhofstadt. C’est un discours qu’il a prononcé sur le sol rwandais à l’occasion de la sixième commémoration du génocide. Une opposition directe, presque menaçante entre les phrases meurtrières inscrites à jamais dans l’histoire et les tentatives de réparation par un discours oral qui lui n’eut en réalité que très peu d’impact. Une tension volontaire s’inscrit dans l’espace avec tous ces éléments, symboles forts de ce désastre, vingt ans après.
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El Mektoub
Vidéo, son, couleur, 5min50 - 2020/2023
El Mektoub signifie « le dessein de Dieu » en arabe.
Le Mektoub est une référence à la fatalité, c’est un concept qui reconnaît que le but de l’humanité est déterminé par Dieu.Suite à la perte de mon petit frère, une multitude d’émotions m’a submergée pendant longtemps. Ce qui me dominait par dessus tout, c’était cette violente dualité entre les mondes dans lesquels je naviguais au quotidien. Vivre le deuil au sein de ma famille, c’était vivre dans un cercle où la mort de mon frère ne signifiait pas sa fin et que son départ s’inscrivait dans une « volonté divine » dont je ne saisissais pas le sens.
D’un autre côté, je devais faire face au monde du « dehors » comme j’aime à l’appeler, c’est-à-dire : mes ami·es, les beaux-arts et la société, un monde tout aussi perturbant que le premier. Le déni et la peur des gens face à la mort me dérageaient.
Ce film est le résultat d’un cri spontané, presque viscéral. Je l’ai composé en imaginant un espace d’apaisement mental, loin des échos des mondes dans lesquels je navigue. Un espace de calme, de légèreté où la fatalité de la perte rencontre finalement la résignation et l’acceptation. Il a évolué au gré de la fluctuation de mes pensées, je pense avoir trouvé un point stable qui me permet aujourd’hui de le partagé.
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Rendez-vous dimanche
Installation - 2021
Table d’autopsie en métal ; 200 x 78 x 89 cm
Portant métallique ; 220 x 500 cm
Pièce unique— Oh le petit Jesus qui sourit en moi,
Ta croix n’est plus à l’abris.
La magie de tes artifices a cessé de me tromper,
Le voile fourbe qui m’obstruait la vue, est enfin levé !Vérité cruelle, vérité brutale ne peut plus être enterrée.
Assez de jouer à cache-cache.
Je veux voir tous tes angles morts,
tes bords et affronter tes vices.Oh le petit Christ qui sourit en moi,
Le noyer dans l’alcool n’est pas ma volonté,
En revanche, c’est ta croix qui est en danger.
Loin de moi toutes vos lois et vos saints sacrements,
Passez-moi le bistouri, la lame et le crochet,
C’est ta croix à qui j’en veux qui va morfler.Loin de moi l’idée m’attaquer à l’acte de foi, c’est à l’institution à qui je m’adresse et que je souhaite examiner. Mon rapport à cette institution a toujours été tumultueux et fluctuant. Cela fait plusieurs années que je m’informe et que je réfléchis à l’angle par lequel j’ai envie d’étudier la question de ses tords et de ses conséquences sur le continent africain en particulier. Le Code noir de 1685, l’abrutissement de populations vulnérables ou encore le vol des ressources et des connaissances ne sont que quelques exemples parmi les milliers. La table d’autopsie est un objet médical à connotation morbide que j’affectionne particulièrement et surtout pour sa propriété de support solide sur lequel, on décortique, on examine, on constate et l’on apporte dans le meilleur des cas des réponses là où le flou sème.
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The worst of the worst
Vidéo, couleur, son, 11min30 - 2022
Dans les années 90, plusieurs chaînes de télévision américaines comme ABC décident de diffuser des programmes spéciaux dans lesquelles ils dévoilent les dessous du principe de la peine capital au grand public. Des États comme la Floride ou le Texas, enregistrent et répertorient des exécutions. La question de la diffusion et de la transparence sur les peines de mort fait débat. Cette vidéo n'a aucunement le but de soulever l'éternel débat "pour ou contre », mon intérêt pour l’univers carcéral états-unien, s'attache à décortiquer le facteur économique, racial ou encore social du système américain.
« The death penalty is the only way to ensure that someone is really going to be out of the way »
À qui profite cet acte fatalement définitif et quels sont les groupes sociaux qui sont visés ? À travers cette vidéo, je me réapproprie des archives visuelles et sonores datées en me jouant des codes du montages pour révéler le contexte houleux et épineux de l’époque.
Des règles strictes, répétitives et cliniques sont établies afin d'éviter tout risque d'erreur ou d'exposer trop d'humanité. Mais un jour, durant l’exécution d’un condamné X, le soi-disant protocole décrit comme infaillible, révèle ses failles : alors que l’assemblée d’offres retient son, le condamné à qui l’on vient d’infliger une décharge à plus de 2000 volt respire. Il n’est pas mort, il a survécu. Mais que dit le protocole ?
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Allez-vous faire foutre
Installation 170 X 150 cm - 2019
Morceaux de couenne de porc, portant et cintres métalliques
Pièce unique« Dans la tête des tueurs de masses » est un recueil répertoriant les journaux intimes/blogs/lettres de neuf hommes, auteurs d’une tuerie de masse à travers les États-Unis, le Canada ou encore la France. Loin du point de vue sensationnaliste des médias, ces écrits nous sont révélés de manière brute et sans détour. C’est la perspective d’individus qui se rejoignent dans leur inadéquation à la société, parfois leur politique désespérée, radicale et confuse, mais aussi l’expression d’une intense frustration sexuelle et sentimentale. La lecture de ce livre engendrera des réflexions sur la monstruosité humaine, dans un contexte de vie où j’éprouvais le besoin naïf de comprendre et de rationaliser des actes allant à l’encontre de la dignité et de la vie humaine. Au cours de ces réflexions, est née l’idée de cette composition, avec un portant métallique, objet qui a pour fonction initiale de porter/supporter des objets, mais qui fait ici écho à l’enveloppe charnelle qui supporterait le fardeau de blessures et d’un mal social. Le portant existe tel un support vide, blessé, mais qui pourtant continue de répondre de sa fonction première. J’ai utilisé de la couenne de porc, car celle-ci a des propriétés similaires ainsi que la même épaisseur que la peau humaine. Entre colère, tristesse, mais aussi dégoût, cette installation fut vécu comme une véritable performance physique et mentale.
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Escape from
Installation - 2021
Grille en métal ; 201x 50 cm
Tabouret en bois ; 55 x 38,5 cm" Subterfuge, parade, sortie, ruse
Stratagème, esquive, échappatoire.
Face à la grille ouverte, grille factice
Assis.e sur ton tabouret,
Les bruits du monde deviennent silence.
Contemple assis.e les gens du dehors qui s’agitent.
Impatient.e, regarde entre les barreaux de fer,
En attente. Latent. L’attente. Suspends le temps.
Grille artificielle, grille matérielle qui ne protège guerre
Contre le mal et la peine Grille mentale, devenue grille de métal
Prends place sur ton tabouret.
Enfin, Invisible. Tu prends la fuite."Guidée par un afflux d’informations, d’émotions, d’énergies qui me submergeaient. Cette installation est la matérialisation d’une idée mentale que je trouve réconfortante. En dedans, en dehors.
Vous êtes priés de vous asseoir et d’attendre pour enfin observer.